La composition de ses rhapsodies a été une expérience existentielle ?
Complétement. Tout d’abord, ce choix de m’isoler, de m’éloigner de cette grande ville qu’est Paris et se chaos. En effet, j’habite à Pantin et c’est très compliqué de prendre un temps dédié pour juste créer de la matière sonore. Puis arrivé sur place, j’ai été confronté à la pleine nature car la maison est à proximité d’une très grande forêt. Cela m’a nourri pour des thématiques propres à l’album : la transformation de notre environnement, ce besoin vital d’être connecté au naturel. Au départ, je ne suis pas allé là-bas pour ça mais c’est venu comme un thème du disque.
Comment as-tu découvert Thoreau ?
Je l’ai découvert assez tardivement grâce à une magnifique émission sur France Culture, peut-être une Grande traversée avec un portrait inattendu. Je savais qu’il avait écrit Walden mais j’ignorai que c’était un mec qui avait raté sa carrière de poète ; cela m’a beaucoup touché. Merci France Culture. Je le connaissais de nom, j’avais lu des extraits, cette émission a été l’occasion rêvée de me plonger dans son œuvre. D’ailleurs, Walden a été mon livre de chevet et il m’a nourri dans cette expérience.

Walden de Thoreau dans la belle édition du Mot et le reste
L’avenir de notre existence serait-il dans un panthéisme plus respectueux de la Terre ?
Pourquoi pas ! Il y a encore des peuples qui continuent de vivre leur rapport à la nature comme celui avec la mère, la créatrice. Cette idée se retrouve dans beaucoup de cultures. Je pense que nous avons besoin de renouer avec cela. Complétement. Et, c’est là où Thoreau est puissant car dans une époque préindustrielle, loin de celle que nous connaissons, il pressent que la productivité va déboucher sur une société de consommation qu’il réfute. Ce n’est pas de cela dont l’être humain à besoin. Il faut célébrer la nature, la respecter, la vivre pleinement.
un arc c'est une guitare
Tout à fait. De plus, l’occident porte une part de responsabilité depuis la découverte et l’invasion du continent américain (puis les colonisations) avec le génocide de civilisations et de peuples de chasseurs-cueilleurs qui avaient quasiment plus de 50000 années de savoir et connaissance intime fruit d’une existence en harmonie avec la nature.
Je suis complément d’accord. Même si cela n’a rien à voir, j’ai toujours trouvé qu’il y avait un rapport symbolique entre le chasseur-cueilleur et le musicien. Et c’est le cas ! Le chasseur-cueilleur à un arc. Et, un arc c’est une guitare, c’est la même chose. Il y a un rapport assez tenu entre la vie de musicien sur la route et celle du chasseur-cueilleur. Je ne rigole pas. Il y a un parallèle assez saisissant symbolisé par l’arc. L’arc permet de chasser mais il permet aussi de jouer de la musique le soir.
Que t’inspire ce passage d’une chanson de Kat Onoma « Que sera notre vie quand, la Terre tournera sans nous prendre sur son dos » ?
Je trouve que cela ressemble pas mal à ce que je chante dans « Oh Small World ». C’est la même idée. Beaucoup de faits et actes sont réalisés sans tenir compte de notre petite planète alors que nous avons besoin d’elle. Je reste optimiste car il y a beaucoup de mouvements qui veulent freiner le grand-n’importe-quoi mais il est vraiment temps que les jeunes générations se mobilisent. J’ai deux garçons qui vont bientôt avoir 18 et 13 ans. Ils ont grandi avec des valeurs écologiques. A leur âge je ne vivais pas avec ces préoccupations car il n’y avait pas de prise de conscience. Mes chansons n’ont pas pour but de faire prendre conscience, pas du tout, mais plutôt d’exprimer ce que je ressens.

L’heure est grave, pourtant notre civilisation poursuit sa quête effrénée de l’ultra consumérisme, de la surcommunication hyper rapide … Nous marchons sur la tête ?
Il faut renouer avec un état de simplicité qui nous manque. Tu le retrouves lorsque tu es face à la nature car tu n’as pas le choix. Il a des personnes que cela n’intéresse pas car elles ne sont pas sensibles à cette harmonie. Ce qui peut être intéressant, c’est d’en témoigner sans rentrer dans un discours prosélyte. J’aime bien que ce soit inscrit comme un thème qui s’est invité dans ma musique. Cela s’est fait naturellement.
rares sont les groupes qui deviennent meilleurs avec l'âge
Il y a peu de temps disparaissait Mark Hollis
Oooooh Mark
Génial musicien à qui l’on doit des albums indispensables comme Spirit of Eden ou Laughing Stock. Quel rapport entretiens-tu avec son œuvre ?
Gamin j’ai adoré « Such a Shame ». J’y trouvais quelque chose de magique. J’ai acheté les albums et je dois avouer que rares sont les groupes qui deviennent meilleurs avec l’âge. Souvent cela empire un peu avec le succès. Pour Talk-Talk c’est tout le contraire. En plus, il atteint le paroxysme avec son unique album solo qui est une œuvre, la classe absolue. C’est un type à part – complétement – une étoile … J’adore ce bonhomme ! Pour sa disparition, sans rentrer dans de l’affect … et bien son œuvre est là, son œuvre est là ! C’est un musicien exemplaire. En 2007, j’ai fait un disque de reprises qui s’appelle Mentors Menteurs ! C’est un album d’hommage aux les artistes qui m’ont marqué entre mes 7 et 17 ans. J’ai enregistré une version de « Such a Shame » qui est restée à l’état de maquette et n’est jamais sortie. Elle est chouette et peut-être qu’un jour je la rendrai disponible.


Depuis quelques années, on remarque un réel engouement pour la ruralité avec des citadins qui larguent tout pour démarrer une nouvelle vie avec des projets ruraux respectueux de la nature (sans pesticide, variété ancienne, cycle court) marqué par exemple par les B.D de Larcenet et Ferri « Le retour à la terre » ou encore la ferme Lou Casse du groupe The Inspector Cluzo, des Rockfarmers qui entre deux tournées cultivent leur maïs pour nourrir les oies qu’ils élèvent. Qu’en penses-tu ?
Je trouve ça très bien. Une partie de ma famille sont des viticulteurs installés dans le sud de la France, vers Montpellier. Un lien qui a contribué à une meilleure compréhension d’un mode de vie qui se tient loin de l’urbanité. J’arrive à trouver beaucoup de ressource lorsque je vais là-bas. Passez le pas, m’installer à la campagne, cultiver mes tomates et tout ça, vivre simplement, c’est une idée à laquelle j’ai déjà pensé et qui me travaille.
Hier, tu as joué pour le disquaire Day chez « Quelque part Records » à Lille. Transition qui me permet de parler de disques. Tu es plutôt vinyles, digital ou complétement dématérialisé ?
A titre personnel, j’aime beaucoup le vinyle ainsi que le CD. J’ai plus de mal avec les supports dématérialisés car beaucoup de plateformes utilisent des systèmes de compression qui ne sont pas géniaux et qui déforment le travail que l’ingénieur du son et le musicien ont réalisé en amont. Et, surtout cela rend la musique trop disponible. La musique se doit de rester assez rare. Je ne pense pas qu’elle doive couler à flot comme un robinet avec un abonnement mensuel ou annuel. Cela n'est très bon pour la musique. Du coup, j’ai toujours mon label, ma petite maison de disques, qui m’offre l’autonomie de choisir ce que je veux faire. Pour l’album j’ai décidé de le sortir en CD et aussi en digital pour les personnes qui le veulent dans ce format mais pour mon propre usage ce n’est pas ce que je préfère. Pour le vinyle, je me suis dit quitte à faire un vinyle autant que ce soit autre chose. Donc, il y a un 45 tours collector extrêmement rare, carrément fabriqué à la main et tiré à 50 copies qui est sur le label de mon frère et je vais sortir un 33 tours avec des morceaux différents de Rhapsody for the Dead Butterflies. Deux titres issus de cette session puis trois inédits.

Quel est ton dernier coup de cœur ? Quel album nous conseillerais-tu ?
L’album Vu du dôme de èlg. C’est un français qui habite à Bruxelles. Il compose des chansons un peu expérimentales avec beaucoup de son électronique et bizarre. L’album est sorti sur le label gravats. J’aime beaucoup ce disque.
Quel est le premier disque que tu as acheté avec tes propres deniers ?
Je ne vais pas dire de bêtises. Je ne suis pas sûr du titre mais c’est un vinyle d’Imagination où ils sont déguisés avec des tenues de Romains. Il y a le single « Just an illusion » (nda : In the Heat of the Night). Je devais avoir onze ans.
Quel album ou quel artiste t’a donné envie de devenir musicien ?
Robert Smith
L’influence de Seventeen Seconds (nda : d’après le dossier de presse)
Il parait (rires) si, si, il y a un ou deux titres où on retrouve cette influence. C’est surtout sur « Another Sleepless Night » un morceau en forme d’hommage où l’on retrouve une structure purement curienne. Au-delà de ça ce sont des sons réverbérés.
Quel disque as-tu acheté pour sa pochette ?
Je pense que c’est Sister de Sonic Youth que j’ai acheté en cassette chez Rough Trade à Londres.



Quelle chanson possède le pouvoir de te mettre de bonne humeur ?
Music and Light de Imagination
Tu danses ?
J’aime bien
Alors, quel morceau te donne envie de te déhancher ?
Kiss de Prince
Si Don Niño …
Alors je te reprends tout de suite. Je n’ai plus le droit de m’appeler Don Niño car il y a mec qui cartonne au Maroc avec ce nom-là. Donc je suis revenu à Nino qui était mon nom de départ. Ce n’est plus Don Niño mais Don Nino j’ai perdu mon tilde.
Donc si Don Nino était un accord quel serait-il ?
Cette question … c’est une super question ! Si j’étais un accord ? (silence) C’est chaud (silence). Aller, Mi majeur 6. Il est dans deux des chansons du nouvel album. C’est un accord assez étonnant, tu ne sais pas s’il est joyeux ou triste. Il n’est pas dissonant mais très harmonieux. D’ailleurs cet accord est dans Purple Rain.
Si Don Nino était le nom d’un cocktail quelle en serait sa recette ?
Du jus de betterave avec du whisky, soupoudré de cacahouètes en poudre et accompagné de petits bâtonnets de gingembre.
Vincent GILOT aka Le Guise
Interview accordée le 14 avril 2019
L'estaminet du pont, Lille