La dernière fois que je t’ai en vu en concert, tu jouais avec ton frère
Mon frère !!!!! (Très étonné)
I’ve got a brother now, He’s black and he lives in Paris
Aaaaaaaaaah James ! Oui !
Hendrix ça été un électrochoc
Quel est le premier disque que tu ais acheté ?
C’était un 45 tours. « Venus » des Shocking Blue. (Il chantonne) Il y avait riff comme ça ! À cette époque-là, j’avais un musicassette, donc avant d’acheter des disques j’avais des cassettes que j’écoutais en boucle comme Aftermath des Rolling Stone. Le premier album que j’ai acheté c’est Jimi Hendrix avec Are you Experienced ?



Quel est l’album qui t’a donné envie de devenir musicien ?
Je ne sais pas s’il y a un disque en particulier. Hendrix ça été un électrochoc, c’est le cas de le dire. Ce son incroyable mais en même temps nous avions conscience que c’était quasiment inatteignable. Néanmoins, il ouvert une voie en montrant que l’on pouvait faire du son avec du bruit, que tout cela pouvait devenir une matière avec l’utilisation du larsen, de la distorsion et du wha-wha. Je pense qu’Hendrix m’a donné envie de devenir musicien même s’il y avait cette espèce d’handicap avec l’absence totale d’approche virtuose. Car j’ai commencé très tôt à faire du Rock. À mon premier concert j’avais 11 ans. Cela s’est fait dans une sorte d’inconscience voire d’insouciance. On achetait une guitare, on répétait et puis on faisait un concert tout de suite. On savait à peine jouer, on apprenait à jouer ensemble.
Quel album as-tu acheté pour sa pochette ?
Il s’agit d’un album du groupe allemand Faust. Un album entièrement transparent avec une radiographie. Une pochette assez chic, ce n’était pas un collecteur mais l’album du commerce avec la pochette et le vinyle qui étaient transparents.
Quelle chanson te donne envie de danser et de te déhancher comme une bête ? Si tu es un danseur ?
J’ai adoré danser. Cela s’est arrêté à un moment mais je dansais énormément. Je dansais comme un fou furieux. J’ai une anecdote assez mémorable et peu cuisante. Je me suis fait virer du Palace – il fallait le faire pour se faire virer du Palace – car je dansais de manière un peu trop excentrique. Quand je dansais j’étais déchainée, c’était complétement dingue ! Maintenant c’est plus compliqué. Dans les fêtes, à l’occasion je peux avoir envie de danser sur l’un ou l’autre morceau qui revient. « Sex Machine » est irrésistible. Mais c’est devenu plus difficile de se sentir en accord, en symbiose avec les gens, la musique qui passe, l’époque. Je regrette un peu cela mais c’est vrai que cela ne m’arrive plus tellement.
Nda : Le Palace était un célèbre club, haut lieu de la culture underground, situé dans le 9ème arrondissement de Paris (1978-1983) qui est devenu par la suite une salle de spectacle.
Quelle chanson te met de bonne humeur le matin ?
Ian Duri un truc comme ça. Je suis allé voir Wilco récemment. Quel bonheur !
Quel est l’album que tu aimes écouter en ce moment ?
J’écoute souvent des choses qui me dépaysent profondément par rapport à ce que je fais. Actuellement j’écoute Nik Bärtsch, un pianiste Suisse-Allemand de Zurich. Il joue au piano solo des compositions très belles et assez minimales. Il invente des grooves absolument incroyables avec des tourneries bancales, pas du tout évidentes et il arrive à rendre tout cela très organique.
Quel est le dernier album que tu ais acheté ? Comment consommes-tu la musique ?
C’est bien connu que les musiciens n’achètent pas de musique ! (Ironique) En fait nous sommes constamment à l’affut. Par exemple, dernièrement dans le tour-bus le runner passait un CD. Tout de suite Sarah et moi, nous nous sommes dit « Hey c’est quoi ce truc ? ». C’était Bror Gunnar Jansson, un suédois qui tourne en solo avec Radical, une sorte d’homme-orchestre. (ndl :One-Man-Band qui joue un blues avec une voix nasillarde qui rappelle Bob Dylan. C’est effectivement très bon !). Et puis je demande souvent à mon fils de me faire des playlists. Parfois, il daigne m’en faire une (sourires). Je trouve qu’il a très bon goût. Il me fait découvrir des choses ou il choisit des morceaux que je connaissais déjà. Cela me fait plaisir aussi ! Cela me réjouit que l’on puisse échanger là-dessus. Nous sommes souvent d’accord même si nous avons connu des périodes musicales différentes. Il est aux Beaux-Arts à Nantes et il est fan de musique. Je suis assez épaté comment les jeunes de sa génération arrivent à débrouiller et à repérer des choses dans ce marais, ce marécage de l’internet. Car nous avons été formés d’une autre manière, plus par la presse musicale ou par le disquaire qui te conseillait et la radio. Là, nous sommes dans une sorte de mutation de tout cela et c’est assez déstabilisant. Je sais que j’aime beaucoup l’album pas seulement en tant qu’auditeur mais aussi en tant que musicien. C’est le format, j’aime composer un album ce qui n’est pas pareil que de faire un titre. L’album n’a pas disparu, il revient d’une certaine manière avec le vinyle. Mais c’est quand même un peu troublant, cette diffusion un peu hachée de format court, cette espèce de zapping généralisé qui favorise des extraits très courts, des petits sons, des petits moments alors que l’album par définition suppose un temps de développement, une construction qui se fait dans le temps. Cette durée-là, c’est celle que l’on retrouve évidemment dans le concert. Et ce que j’aime dans le concert c’est que l’on retrouve un tout petit peu la maîtrise de son propre temps.
Nous retrouvons le professeur de philosophie dans la notion du temps que tu décris
Dans l’expérience en tout cas. Je pense que tout musicien éprouve cela. C’est quelque chose qui me frappait et qui était flagrant dans les concerts de Miles Davis. Il passait un certain temps au début du concert à justement installer son timing. Pendant la durée du concert, ce musicien qui possède les coordonnées spatiaux-temporelles, il fabrique le temps. C’est vrai chez les musiciens de scène.
Y'a un truc Rhénan
Si Rodolphe Burger était un accord de guitare, ce serait lequel ?
Ça n’a pas de nom ! Ce serait probablement un accord majeur et mineur à la fois. Mes penchants en termes d’harmonie vont vers cela. J’aime ce côté indécidable en le majeur et le mineur et ce passage de l’un à l’autre. Il m’est arrivé de composer des morceaux pour avoir juste le plaisir de jouer un accord dans le morceau comme « Avance » sur l’album No Sport. C’est un accord mineur que j’ai dû piquer à Miles Davis.
Tu as été professeur de philosophie. Elle se retrouve dans tes textes. Mais quelles sont tes influences ? Es-tu un existentialiste ?
J’étais dans le Rock’n’Roll avant d’être dans la philo. Bien avant ! Ce qui a été une chance pour moi, c’est que je n’ai pas eu une éducation avec un parcours classique à faire du grec, du latin et de la philo. Dans ma famille c’était complétement exclus qu’un garçon fasse des études de lettres. C’était interdit ! C’était un truc de fou (sourires). J’ai été obligé de faire un bac scientifique alors que naturellement j’étais plus porté vers les lettres. La philosophie m’a complétement bouleversé au moment où je l’ai découverte comme si on m’avait caché quelque chose d’extraordinaire. Effectivement, j’ai été très touché par les philosophies de l’existence, bien sûr Nietzsche et puis Kierkegaard, Edmund Husserl et la phénoménologie et puis Heidegger mais l’Heidegger d’extrême gauche. C’est un paradoxe car politiquement parlant ce n’était pas franchement sa pente, c’était un horrible conservateur mais philosophiquement il y a eu en France une lecture par Derrida qui me parlait. J’ai eu la chance de côtoyer à Strasbourg des gens qui faisait la traduction de la pensée allemande en français : les premiers romantiques, Hölderlin, Nietzsche bien sûr. J’ai toujours nié les histoires d’appartenance, de racine et tout ça. Je ne crois pas beaucoup à tout cela car évidemment on se construit à partir de références qui sont partout et justement pas chez soi ; on les cherche ailleurs, on se les invente ou elles sont imaginaires, etc … Mais quand même, j’ai l’impression qu’il y a un truc Rhénan ! Dans la musique, dans la culture, j’ai un côté border ! Je viens d’un endroit frontalier qui a été traversé historiquement de manière très compliquée mais qui est dans un rapport avec plusieurs cultures. Un pays comme la Suisse continue de me fasciner avec leurs sortes de frontières linguistiques et de passer d’une langue à l’autre. Au niveau du Rock, on a beaucoup sous-estimé l’héritage de la musique allemande que l’on redécouvre.
Avec des groupes comme Can
Oui mais pas seulement. La Pop anglaise est très enracinée dans des traditions vocales folkloriques et très anciennes, que l’on retrouve chez les Beatles notamment (nda : comme le Skiffle), qui seront mixées avec le Rock venant des Etats-Unis et de la musique noire, le Blues et tout. Alors que les Allemands après la guerre, ils ont dû faire table rase et recommencer à zéro. Ce qui a donné une forme de radicalité. Les Allemands sont plus des chercheurs extrémistes, des inventeurs musicalement. Lorsque Bowie et Eno ont recherché à une époque un style plus radical (claque des doigts) ils sont allés à Berlin. Ils voulaient jouer avec les mecs de Neu !. Ils sont allés au studio avec Conny Plank. Cela nous a beaucoup influencé également. En Alsace, nous étions à la fois très irrigués par le Rock avec ces fameuses bases américaines comme le raconte Bashung. On écoutait du très bon Rock comme Eddie Cochran grâce à ces radios américaines, mais il y a eu aussi l’influence allemande car ces groupes venaient tourner en Alsace, c’était comme une province, un Land en plus. Pour moi, Kraftwerk n’était pas un groupe électro, il faisait partie du paysage.
Si Rodolphe Burger était un cocktail, quel en serait la recette ?
Un cocktail Molotov (d’une voix grave) ! J’aime bien le Whisky sour. Donc un Molotov à base de whisky et de citron.
Vincent GILOT aka Le Guise
Interview accordée le 8 décembre 2017
Le Pharos, Arras