Persian Rabbit

Mélophores Unit

Installé en terrasse avec mes amis photographes sous un soleil radieux qui inonde Maubeuge, fait assez rare pour être, comme vous pouvez le voir, souligné, je déguste mon deuxième Orval à l’amertume si caractéristique. Pour comprendre le pouvoir désaltérant de cette boisson diabolique il faut se plonger dans le fleuve des difficultés de la langue française qui fait tout son charme. Evidemment, les plus grands linguistes et sabreurs de l’Académie Française spécialistes de l’usage correct du pluriel dans toutes les positions vous le confirmeront, inutile de jouer les gros bras la règle est pourtant simple, un journal des journaux, un voleur des valises et une bière des haltères ! Même si « Tout ça n’vaut pas un clair de lune à Maubeuge » je compte bien profiter du soleil, qui donne la même couleur aux gens, gentiment en attendant l’arrivée des musiciens de Persian Rabbit. Bien que patient, je suis prêt à crier un « moi » franc et unanime à celui qui osera poser la question qui vous brûle les lèvres « Mais qui veut l’appeau de Persian Rabbit ? », afin d’interviewer sans tarder ce groupe phénoménal.


Garde à vous ! Persian Rabbit un groupe de Crack blindé pour affronter l'avenir ...

Persian Rabbit se compose de Nicolas Djavanshir au chant, Olivier Desmulliez à la guitare, Mathieu Deprez à la contrebasse, Bastien Gournay à l’harmonium et Alexandre Lamoly à la batterie. Un phénomène composé de musiciens expérimentés venant d’horizons musicaux très variés. Début 2012, nous découvrions un premier EP prometteur composé de quatre titres suivi d’une session d’enregistrement dans la chapelle des Trois-Vierges de Caëstres, un environnement correspondant parfaitement à leur univers musical atmosphérique et mystique. Aujourd’hui, je retrouve les cinq musiciens pour une interview bucolique dans le cadre verdoyant des fortifications de Vauban qui ceignent encore partiellement la ville. Une belle occasion pour ne pas vous raconter les trois mois de brainstorming pour pondre un nom pareil, mais plutôt de vous expliquer la naissance, les influences et l’évolution de ce groupe en devenir. Une interview aux parfums épicés et boisés.

Comment est né le projet Persian Rabbit ?

Bastien : Le projet est né il y a maintenant deux, trois ans autour de l’harmonium et du chant, puis la guitare est très vite arrivée suivi par la contre basse et la batterie. Mais le projet s’est surtout axé autour de l’harmonium que Nicolas avait un peu acheté par hasard sur un célèbre site de vente en ligne.
Mathieu : C’est une histoire à entrées multiples avec l’harmonium au cœur de l’histoire où se sont agrégées les différentes parties grâce aux réseaux de connaissances lillois et d’amitiés. Tout cela s’est monté, petit à petit, sans logique préalable au gré des rencontres et des envies des uns et des autres.


On part du silence pour faire cette musique


Etonnant challenge sachant que vous venez tous d’univers musicaux différents entre Post Rock, Emo Core ou Electro Rock ! Quel est le fil rouge ?

Bastien : nous avions envie de composer une musique un peu plus élaborée, un peu plus fine, moins rentre dedans, finalement un peu plus originale et personnelle.
Nicolas : Nous venons tous de groupes différents mais qui ont tous l’énergie comme point commun. Les morceaux se sont construits par hasard autour avec l’harmonium, puis nous avons rajouté de l’archet. On s’est pris au jeu. L’approche percussive d’Alex n’est pas commune, il ne joue pas comme un batteur de Rock, plus en percussion. En fait, on part du silence pour faire cette musique, en essayant de le respecter pour mieux y revenir.

Comment avez composé ce premier album ?

Nicolas : Généralement je propose un riff ou deux d’harmonium avec un chant qui sert comme point de départ, ensuite en répétition on modifie, on réarrange. Plus on avance et plus il y a d’écriture en groupe. Il y a toujours un riff pour avoir une dynamique de départ avec un chant qui est écrit. En fait, on ne sait pas trop à quoi va ressembler le morceau à la fin.

Les textes sont écrits avant les musiques ?

Nicolas : Oui. En fait, j’écris dans mes carnets de texte. Puis quand je compose un riff je chante par-dessus.

J’ai l’impression que Dead Can Dance et leur album Spleen and Ideal est une influence assez claire de Persian Rabbit ?

Mathieu : Je vois ce que tu veux dire. (S’adressant aux membres du groupe) Si vous ne connaissez pas, effectivement cela ne va pas vous parler ! Ce n’est pas une influence directe. La preuve puisqu’ils ne connaissent pas. Mais si vous écoutiez vous y verriez un lien.

On retrouve une influence mystique

Mathieu : Oui, il y a cela. Ensuite, il y a un travail sur des formats de chansons qui ne sont pas standards. Un détachement d’une forme de convention à travers les instruments qui ne sont pas courants pour composer comme l’harmonium ou les cordes. Nos influences se rapprocheraient plus du label Constellation avec des groupes comme Godspeed you ! Black emperor ou A Silver Mt. Zion.

Je vois Persian Rabbit comme la rencontre fortuite de Godspeed you ! avec Dead Can Dance dans une église.

Mathieu : Symbolique cela pourrait très bien nous représenter ! … En mangeant végétarien, aussi.

Quels sont les thèmes qui sont abordés dans vos compositions ?

Nicolas : Les sujets dépendent des morceaux. Il n’y a pas un concept Persian Rabbit. J’écris ce qui vient. Il y a un morceau qui s’appelle « Setareh », un mot qui veut dire une étoile en Perse. Cette chanson parle de la liberté en Iran. « Sound from Beyond » raconte l’histoire d’une foule qui se dirige vers un son. En fait, elle est attirée, comme magnétisée, par ce son pour passer dans un autre monde. Les textes ne sont pas forcément très précis pour justement laisser de la place à l’imaginaire et au ressenti. Tu peux retrouver des textes plus romantiques comme « Ginger » ou bien humanistes comme « Sound from Beyond » ou « Setareh » sans mettre le doigt sur des conflits politiques ou ce genre de choses.
Mathieu : Musique vaporeuse pour un sens aussi vaporeux. Justement la combinaison fonctionne bien ! Nous ne sommes pas dans du réaliste brut mais plutôt dans le symbolique.

Vous avez joué au festival The Great Escape dans le cadre d’un accompagnement par la Marmite. Cela s’est bien passé ? Qu’est ce que vous en tirez ?

Mathieu : La Marmite super ! C’est déjà une chance qu’ils nous aient choisis pour nous emmener dans leur aventure. Participer à ce festival est très gratifiant. On en retient du bon et des choses un peu moins bonnes, mais au final tout cela est assez constructif car cela a permis d’avancer. De résoudre les problématiques liées au son et à notre capacité à pousser le volume. Analyser le côté opérationnel de notre musique car, heureusement, Persian Rabbit ne se résume pas simplement à jouer notre musique ensemble dans une église et se faire plaisir, mais aussi pour la jouer sur un festival comme celui-là. Dans le concret nous nous sommes rendu compte pourquoi c’était compliqué à gérer ! Cela va nous permettre par la suite d’améliorer certaines choses dans le line-up.

Qu’est-ce qui est compliqué ?

Olivier : C’est l’instrument à l’origine du groupe qui pose problème. L’harmonium n’est pas fait pour jouer en live. A la base, c’est un guide chant qui n’est pas censé être sonorisé car il est supposé être joué seul. De ce fait, nous sommes obligés de trouver des moyens détournés pour faire sonner le machin ! Car cela nous porte préjudice. Il y a réflexion autour de cela pour utiliser l’harmonium sur les petits plateaux car sur les grosses scènes il n’y a pas de problème. Sur les petites scènes où il faut être speed pour s’installer, c’est plus compliqué.
Bastien : Les conditions en Angleterre sont très Rock’n’Roll. Tu branches, tu joues ! Tu n’as pas trop le temps de t’attarder, de peaufiner toute l’approche acoustique de ces instruments plus complexes comme l’harmonium ou la contrebasse. Sur ces configurations Rock’n’Roll nous avons eu quelques de soucis de son !


Notre musique ne laisse pas indifférente, c’est déjà une forme de satisfaction


L’album sera prochainement distribué par L’autre distribution. Comment cela s’est passé ?

Mathieu : C’est notre manager François Julien qui dirige la maison d’édition Chancy Publishing qui s’en ait chargé. Il nous accompagne depuis presqu’un an. On le remercie beaucoup car il est très présent pour nous. C’est un luxe nécessaire pour passer les étapes dans le développement d’un projet musical que de s’adjoindre les services d’une personne comme lui avec sa connaissance des réseaux, de tous les aspects juridiques et financiers de la musique qui sont relativement complexes. Cela nous permet de nous guider et de s’affranchir de pas mal de questions, de structurer le projet au-delà de la musique en elle-même.

Ce soir vous participez à un tremplin organisé par Bougez Rock avec à la clé une participation au festival des Nuits secrètes. Quelle est votre image de ces associations qui tentent de faire vivre la musique à un niveau local. Sachant que nous sommes à Maubeuge une ville par forcément très Rock’n’Roll !

Bastien : Bougez Rock sont là depuis bien longtemps et nous pouvons leur tirer le chapeau ! Ils sont présents dans une région Nord qui n’est pas évidente à faire bouger au niveau culturel. Ils s’accrochent et font les choses de manières très carrées à chaque fois. Nous sommes toujours très bien accueillis.
Mathieu : Leur existence est bien plus qu’importante, elle est nécessaire ! C’est nécessaire si on veut faire en sorte que le Nord ne soit pas résumé à Lille et à sa métropole en termes de musique. C’est important que ce genre d’asso ait une reconnaissance institutionnelle ou même par les musiciens « métropolitains » dirons-nous. Finalement Maubeuge ce n’est pas très loin et cela mérite de se développer. Il y a des projets en cours et les Nuits secrètes est un bel exemple. C’est un festival qui existe depuis plusieurs années et qui a une belle fréquentation. Une réputation à l’échelle nationale et voire un peu européenne. Pourtant le projet est né à Aulnoyes Aymeries et a priori le pari à la base n’était pas gagné du tout ! Finalement ca marche. C’est la preuve que les choses sont possibles dans le coin.

Quels sont les projets à venir pour Persian Rabbit ?

Nicolas : L’album vinyle sort officiellement le 23 juin. Nous sommes en train de voir comment il est accueilli. Pour l’instant cela se passe bien nous avons de bonnes chroniques en France et en Belgique.
Mathieu : Un beau papier dans l’Humanité Dimanche de la semaine dernière. Longueur d’ondes a également bien chroniqué le projet. C’est très encourageant. Dans tout les cas, il y a des réactions. Notre musique ne laisse pas indifférente, c’est déjà une forme de satisfaction.

Si Persian Rabbit était un cocktail qu’elle en serait la recette ?

Nicolas : Nous avons des spécialistes.
Bastien : Il y aurait du Bourbon.
Olivier : Du bon vin rouge.
Bastien : Il y a un peu de rhum aussi ! Au niveau de la batterie, il y a du rhum.
Mathieu : Une association Bourbon et rhum avec une crème de pistache pour le côté persan avec des feuilles de menthe et un poil de safran avec en accompagnement du Maroilles sur de pain d’épice passé au four !
Nicolas : Il faut plutôt un whisky tourbé pour le côté boisé de Persian Rabbit.
Mathieu : Oui, un whisky tourbé, fort et charnu plutôt terreux, sablonneux avec de la cannelle et un peu de safran.

Vincent GILOT aka Le Guise
interview accordée le samedi 17 mai 2014
Festival de l’ascenseur, Maubeuge