Jean Bernaux

Faire art de tout bois

Les bars sont des endroits de convivialité que j’apprécie beaucoup. Loin de la virtualité 2.0, les gens s’y rencontrent, discutent et peuvent même se lier d’amitié au hasard de mots échangés avec la table voisine. C’était il y a une bonne dizaine d’année, en 2004. Un avant goût d’été. Attablé à L’illustration, ce bar typique du Vieux Lille dont les banquettes en bois d’époque possèdent un charme désuet, je déguste tranquillement cette bière blanche au nom soi-disant imprononçable. Je feuillette tranquillement mon numéro spécial des Inrockuptibles : 50 ans de Rock, les années 80/90. Mon voisin de droite, me conseille vivement d’écouter Speakerboxxx / The Love Below d’Outkast. Alberto Casano, après avoir suivi un parcours pour devenir footballeur professionnel, créé des luminaires contemporains. Estelle, une amie étudiante en médecine l’accompagne ainsi que Jean Bernaux. Originaire, comme moi, de Maubeuge, ce peintre va exposer prochainement à la galerie du Point Barre.

Devant une tasse de thé nous évoquons ensemble ces vieux souvenirs qui semblent lointains.
- « Quelle mémoire ! »
Avec Jean, nous nous croisons plusieurs fois comme cela, par hasard. Il fait souvent bien les choses. A chaque fois il m’invite à venir visiter son atelier. Après avoir grimpé l’escalier qui mène aux toits, nous y sommes enfin. Je pose mon dictaphone sur la table.

Le parcours de Jean Bernaux est loin d’être linéaire. Il s’est construit à force de rencontres et de découvertes. Ancien compagnon en menuiserie, il entretient toujours un rapport privilégié avec cette matière noble qu’est le bois mais également avec le monde du spectacle. Découvrons-le !

Comment Jean Bernaux est passé de la menuiserie à la peinture ?

A Poitiers, je faisais des décors de théâtre. Je me suis aperçu que mes décors plaisaient aux gens. J’ai suivi un stage pour découvrir le monde du théâtre : la lumière, le son, le décor forcément puisque c’était mon dada et également de la scène. J’ai vraiment adoré cela et j’ai demandé pour continuer à étudier le théâtre toute l’année. J’avais envie d’essayer un peu tout. Hervé Guérande-Imbert, mon professeur, m’a vraiment donné envie de creuser et de trouver ma voie, sans forcément passer par une école. Surtout que je ne suis pas scolaire. Une année, ma galerie sur Berlin m’avait proposé d’intégrer Le Frenoy à Tourcoing. Mais j’ai refusé car le système scolaire est à l’opposé de ce que je recherche. Depuis que je peins j’ai vraiment cherché à rencontrer des gens et à travailler avec ses rencontres.

As-tu fais les beaux-arts ?

J’en ai fait un peu mais je n’ai pas passé le diplôme. Je n’aime pas trop le système ! Ce n’est pas dans ma mentalité. Pour moi ce sont les gens qui créent une école et non pas une école qui doit créer les gens. Certaine personne font une école pour ensuite avoir une carte de visite, mais ce n’est pas dans ma mentalité. Je préfère ouvrir des champs

En arrivant tu m’as montré une de tes dernières œuvres qui est composée de lingots en bois. Je me souviens que tu fabriquais le cadre de certains de tes tableaux avec du bois de récupération. Comment expliques-tu ce rapport avec le bois ?

Je n’aime pas trop cette course à la modernité et la technicité. On oublie qui nous sommes, ce qui explique probablement ce retour au bois. On finira soit au bucher soit sous la terre. Ce rapport au bois est très important. Même si j’aime beaucoup la peinture, je n’ai plus envie de continuer à travailler comme ces dernières années.


Je ne pense pas que nous puissions porter aujourd’hui ce regard sur les objets qui nous entourent sans le travail de Duchamp


Qu’est ce qui te gêne ?

Les deux dimensions et le rapport au cadre. Je veux que mon travail soit plus humanisé. Sans pour autant être théâtral qu’il y ait une intervention de l’humain. C’est probablement ce que j’ai souhaité développer avec ma série des bandits-manchots que j’ai réalisé avec du bois récupéré. Ce n’est pas cher, car ce sont des matériaux que les gens jettent. D’ailleurs j’ai du mal à comprendre le fait que les gens puissent jeter du bois. Tu achètes un meuble au magasin et il fini dans la rue. Il y a aussi un rapport avec l’environnement.

Quelles sont tes influences ?

Le fait de se réapproprier des éléments ou matériaux piqués à droite à gauche. De savoir qui nous sommes par rapport à ce que nous créons. Il y a Picasso sans déni. Marcel Duchamp est très important, comme Kazimir Malevitch. Il faut avouer que nous avons tous hérité de ces artistes. Je ne pense pas que nous puissions porter aujourd’hui ce regard sur les objets qui nous entourent sans le travail de Duchamp. Je ne pense pas que nous puissions avoir ce recul par rapport à l’objet, comme ce rapport au bois par exemple, si nous en étions encore à la peinture figurative. En fait, j’hérite de courants qui ont révolutionné l’art contemporain. Quand je parle de Picasso, ce n’est pas par rapport à ce qu’il a exprimé mais plutôt de la manière qu’il a trouvé les choses pour pouvoir exprimer son art. Je suis également influencé par le metteur en scène Pippo Delbono, qui demande à des personnes provenant de différentes rencontres comme des prostitués, des SDF, de parler d’eux même, de raconter leurs rêves. Mon métier, me permet de rêver.

Vincent GILOT aka Le Guise
Entretien accordée le 9 Août 2011
Lille