Je tire ma valise dans les rues de Paname. Suis-je vraiment en France ? J’ai l’impression que nous avons été victime d’un mouvement tectonique de grande ampleur pour nous retrouver près de l’équateur. Il fait lourd. L’air est moite. Je sue à grosse goutte et ma chemise me colle à la peau. Evidemment, dans de telles circonstances, la bière fraîche que me propose Jean-Charles ne se refuse pas, bien au contraire ! Je profite de mon passage dans la capitale pour retrouver Jean-Charles Versari dans son studio qui ressemble de l’extérieur à un chalet savoyard. Après un très long silence, le trio parisien revient avec Ostinato, un album mature et percutant. Textes acérés, rythmique martiale, Jaguar Fender l’air toutes griffes dehors. Un album Post-Rock et Noisy chanté en français dont je vous propose de découvrir les arcanes.

Le Guise : Plus de six années se sont écoulées depuis la sortie de votre premier album Jour après jour. Que s’est-il passé durant ces années ?

Jean-Charles Versari : Nous avons beaucoup bossé avec Cyril sur notre label T-rec afin de lui donner plus de visibilité dans les média. De toute façon, quand l’album est sorti, personne ne nous attendait vraiment avec Versari. Nous avons eu une bonne presse, mais notre tourneur n’a pas trouvé de date et tout s’est doucement endormi. Puis nous avons mené des projets personnels. Cyril est régisseur. Il a beaucoup joué avec Zone-libre. Laureline a repris des études de psychologue et moi j’ai suivi une formation d’ingénieur du son. Pendant cette période le groupe a connu quelques mutations. Laureline nous a rejoint à la sortie de l’album pour les concerts, Jason est parti et a été remplacé temporairement par Olivier à la guitare et au violoncelle. Versari n’était pas encore vraiment un groupe car Jour après jour demeurait un album post-Hurleurs. J’étais le cul entre deux chaises et je commençais à pointer du doigt ce qui allait devenir Ostinato. En fait, pendant ces six années, nous avons réellement créé un groupe avec Cyril et Laureline. Nous n’avons pas passé ce temps à nous connaître car on se connaissait bien déjà, mais plutôt à créer ce truc de groupe qui est quelque chose de très fort et pas facile à obtenir.

Pour Ostinato, vous avez collaboré avec Adrian Utley le guitariste de Portishead. Pourquoi ce choix ?

Adrian avait collaboré comme musicien additionnel sur le dernier album des Hurleurs (ndr : Blottie). Nous nous sommes bien entendus, puis avec le temps sommes devenu amis. Il y a plus de 2 ans, lorsque nous avons commencé à penser faire un nouvel album, j’ai proposé à Cyril et à Laureline de demander à Adrian s’il accepterait de réaliser l’album. Parce que nous sommes tous les trois très touchés par la musique de Portishead. Un groupe dont on admire l’intégrité et la radicalité, qui revient après un silence de 10 ans avec un album tranché qui ne se caresse pas dans le sens du poil. Machine Gun comme single c’est exceptionnel ! Je pense qu’avec Adrian nous sommes sur la même longueur d’onde artistique. Il écoute beaucoup de musique expérimentale, bruyante, des groupes à guitares dans le style drone comme sunn o))). Je me suis dit que cela pourrait être une collaboration intéressante. Quand je le lui ai proposé, il a dit oui tout de suite sans même savoir où le projet allait.

Alors que Jour après jour était un album pop et sensuel, Ostinato s’aventure dans des contrées plus alternatives entre Post-Rock et Cold Wave avec des guitares acérées, très métalliques et des textes souvent amers comme comme « Non Retour », « Ville Morte » ou « Hymne ». La situation ne s’est pas améliorée depuis « Blunt » où tu critiquais la manipulation médiatique ?

C’est vrai ! Tu as relevé cela, je suis très épaté ! Sur tous mes albums, même à l’époque des Hurleurs, il y avait toujours un morceau rentre dedans, je ne vais pas dire politique, mais plutôt revendicatif, un peu sociétal. Je dois reconnaître que dans ce style « Non retour » est mon morceau le plus réussit. Je n’ai pas l’impression que la société s’est améliorée depuis 2006. C’est même bien pire qu’avant ! Le tout individualisme et tout libéralisme sont devenus très prégnant dans le cerveau des gens. La société a changé et je ne sais pas trop où l’on va !


Tout le monde s’excite sur Fauve. Je trouve leurs textes intéressants. Je pense que ces gars là ont une vision que quelqu’un de mon âge ne peut pas avoir. C’est la vision de leur génération.


A quelle source, Versari puisse t-il son inspiration ?

Pour la musique la source provient du travail commun avec Cyril et Laureline. Du coup, ce sont nos influences fondatrices de notre écoute de musiques qui ressort vraiment. Pour moi, c’est le Post-Punk, tout ce qui s’est fait depuis 1978-1979 jusqu’à la New Wave car c’est mon terreau musical. C’est la musique que j’écoute depuis que j’ai 15 ans. Pour Cyril et Laureline, qui partagent aussi cette période musicale, il y a une influence plus américaine avec le Post Hard Core, tous ces groupes qui bastonnent comme The Jesus Lizard, Shellac ou Girls against Boys avec qui nous avons joué récemment. J’ai beaucoup écouté et j’écoute encore Fugazi. Sur cet album, j’entends les références à Fugazi, même discrètement. Pour « Ville morte », nous sommes parti d’un plan de guitare que j’ai refilé à Laureline pour qu’elle le joue à la basse, Cyril a calé sa batterie dessus et quand j’ai commencé à jouer la guitare j’y ai trouvé un côté Guy Picciotto Ian McKay. Ensuite, tu avances et tu t’appropries ce que tu as trouvé et cela prends forme avec ton mode d’expression. Au niveau des textes. Depuis que j’ai commencé à écrire des chansons ma démarche par rapport aux textes s’affine de plus en plus. Pendant longtemps, ils racontaient des histoires, j’incarnais des personnages. Cela me permettait d’avoir des écrans par rapport à ce que je voulais exprimer. Avec le temps, j’écris différemment. Aujourd’hui, je parle beaucoup plus de mon ressenti, de la vie en général, de ce que nous lisons dans les journaux et de nos propres rapports humains, mes relations avec les gens. Les influences vraiment créatrices de cet album elles sont là.

Comment s’est passé le travail d’écriture ?

Je voulais écrire un album avec la moitié des chansons en anglais. Je suis bilingue et je pensais que j’en étais capable. En fait, non ! Il ne suffit pas d’être bilingue pour pouvoir écrire des bons textes en anglais. Il faut avoir une connaissance sensible de la langue qui va au-delà de l’apprentissage que l’on peut en faire. J’ai vécu aux Etats-Unis mais je ne suis pas assez proche de cette langue maternellement pour écrire de bons textes. Ce qui entre parenthèses pose pas mal de questions sur tous ces groupes français qui écrivent en anglais. J’ai eu beaucoup de mal à démarrer l’écriture d’Ostinato car je voulais justement écrire en anglais. Pour « Non retour », j’ai longtemps essayé de l’écrire en anglais mais j’ai arrêté. « Les rois pourtant décapités… » est une phrase qui m’est rapidement venue. Je suis resté avec uniquement cela pendant très longtemps !

Le choix du mot juste a beaucoup d’importance dans ton écriture. Quel rapport entretiens-tu avec la langue française ?

Je n’ai pas de rapport particulier. J’ai beaucoup lu. Beaucoup plus que je ne lis aujourd’hui car j’ai moins le temps. Je n’ai pas lu de poésie depuis plus de 15 ans. Je pense que c’est plus lié à une exigence que je vais avoir vis-à-vis de moi pour exprimer exactement ce que je veux exprimer. Je suis sensible que tu parles du mot juste, particulièrement pour cet album qui s’est écrit sur une longue période. Il y a beaucoup de morceaux – 8, 9 – qu’on a dégagé car les textes étaient pauvres, la musique était moins intéressante. C’est vraiment une question d’exigence plus qu’une idéalisation de la langue française.


Je considère comme une insulte les gens qui me parlent d’ennui


Ce matin, j’ai découvert en feuilletant la presse que La belle du seigneur va sortir au cinéma mercredi sur les écrans. Tu t’es librement inspiré de ce roman d’Albert Cohen pour écrire Animale adoration. Ce roman t’a marqué ?

Je l’ai acheté lorsque je bossais comme libraire au BHV. Je l’ai lu il y a bien dix ans. C’est un très beau livre, très fort et marquant. Nous avons composé la chanson à partir d’un plan de basse batterie de Laureline et Cyril. Puis j’ai trouvé mon plan de guitare. Et là, j’essaye d’écrire un texte en anglais et je n’y arrive pas. Je bute sur plein de choses mais je sais où je veux aller. Il y a une scène dont j’ai été témoin dans le métro où un mec tout en étant gentil essayait de se rapprocher d’une nana. Mais elle n’en avait clairement rien à battre et tu sentais qu’elle attendait autre chose. Cette scène m’a rappelé ce passage du livre d’Albert Cohen. Un très court passage où le héros, un grand séducteur obsédé par les canines et les dents, est déçu par toutes les femmes qu’il séduit dès qu’il les a séduites. Il pense que ces femmes recherchent quelqu’un qui puisse tuer. C’est ce qui les excite. Il y a un côté un peu misogyne dans ce roman. Il y a même un mec qui a fait une thèse sur l’animale adoration. J’ai essayé d’écrire dans ce sens là, mais le texte est arrivé assez tard.

Quel est votre dernier coup de cœur musical ? La scène française change.

Ce n’est pas faux. Je suis de loin la scène française Je suis moins au fait de ce qui se passe aujourd’hui que je pouvais l’être par le passé car j’ai moins le temps. Tout le monde s’excite sur Fauve. Je trouve leurs textes intéressants. Je pense que ces gars là ont une vision que quelqu’un de mon âge ne peut pas avoir. C’est la vision de leur génération. « Saint Anne » je trouve ça assez fort. « Nuit Fauve » qui est plutôt bien. Par contre, j’ai un problème avec leur musique. C’est de la musique d’ascenseur ! C’est totalement creux et sans intérêt. Leur univers me parle car il m’évoque Diabologum, Programme – mais je n’achèterai pas le disque. J’aime bien Von Pariahs un groupe très revival années 80 qui chante en anglais. Mon dernier coup de cœur c’est un groupe allemand : Candelilla. Elles ont sorti l’album Heart Mutter au début que l’année, qui a été enregistré chez Steve Albini, que je trouve exceptionnel. Je suis fan de Frustration, un très bon groupe français. Sinon, j’ai travaillé avec un gars qui va sortir un album à la rentrée qui s’appelle Aetherlone. C’est un très beau disque même si je ne suis pas totalement objectif puisque c’est moi qui l’ai enregistré.

Une tête de mort se dissimule sous les « ostinato » de la pochette. Quelle est la signification de ce symbole plutôt ésotérique ? C’est to be or not to be !

C’est mon premier tatouage. Ma vanité. Mon memento mori. Cela ne va plus loin que ça. Il y a ce côté très incarné et charnel dans « Ostinato ». La chanson parle vraiment de cela. Tu passes ta vie à faire des choses, tu te casses la gueule, tu te blesses, tu te fais mal mais malgré tout, tu ne peux pas t’empêcher de les faire. C’est une chanson qui préconise l’urgence. J’ai vécu dans l’urgence et je continue d’y vivre. Je préconise l’urgence car on ne peut pas se permettre de ne rien faire. Je considère comme une insulte les gens qui me parlent d’ennui. Tu n’as pas le droit de t’ennuyer. Il y a suffisamment de belles choses à faire pour ne pas s’ennuyer !

Si Versari était le nom d’un cocktail quelle en serait la recette ?

Il y aurait du citron et un alcool fort qui pique un peu. Ce serait un sour : un pisco sour, un whisky sour …Pas forcément un cocktail très sophistiqué mais avec plusieurs degrés de lecture. Un cocktail qui enivre. Pas forcément rapidement mais certainement.

Vincent GILOT aka Le Guise
interview accordée le 17 Juin 2013
au studio Poptone, Paris