The Forest Sessions

Une soirée Hootenanny pour Sonic Youth. Sur la scène de La Malterie, se dresse une sorte de créature mythologique mi-homme, mi-lapin, qui hisse Kim Gordon à l’honneur entre des samples de sa voix et un T-shirt au slogan évocateur "I am Kim Gordon". Ce lapin mutant, qui s’est risqué à l’Air Guitar sous le pseudo de Beaubluff, est heureusement plus inoffensif que celui des Monthy Python. Double effet Kiss Cool ! En septembre, Beaubluff frappe un grand coup en invitant plusieurs musiciens de la scène lilloise dans sa maison de famille située à la campagne pour participer à une expérience inédite : The Forest Sessions.

Bas les masques. Ce soir je rencontre un sympathique lapin afin de discuter de cette expérience bucolique ! Appelons-le Pascal. Puisque Gérard, c’est le prénom du pangolin (nda : Les Chroniques de la haine ordinaire, Pierre Desproges).

The Forest Sessions ! Que se cache t-il derrière ce projet ?

D’abord une envie de se servir d’un lieu que nous possédons et d’y mélanger deux ans de rencontres avec des musiciens de la scène du Nord. Avec ma femme nous avons rencontré pas mal de musiciens et nous nous sommes rendu compte de tout ce qu’ils voudraient faire parfois ensemble et qu’ils n’ont pas le temps de faire. Finalement, nous nous sommes dit "Nous avons le lieu pour mélanger tout ça, allez on y va !". En deux mois c’était fait ! Nous avons crée ces Forest Sessions en nous inspirant des Desert Sessions de Josh Homme.

Es-tu musicien ou artiste de formation ?

J’ai fait l’école des beaux-arts de Saint-Luc à Tournai en tant que photographe. Evidemment, j’ai écouté beaucoup de musique mais je ne suis absolument pas musicien et je ne prétends pas l’être dans le futur.

La première fois que je t’ai vu sur scène c’est derrière un masque de lapin, puis en compagnie de The Fatal Erection and The Lazy Wankers lors du Hootenanny. Comment en es-tu arrivé là ?

J’ai rencontré dans un cadre professionnel Nicolas Djavanshir le chanteur des White Loose Woman. Il m’a dit "Pour le prochain Hootenanny, j’aimerai bien que tu fasses un truc avec moi". Franchement, sur le coup je ne savais pas trop quoi faire. Comme j’étais tombé dans le Air Guitar par hasard, il m’a répondu "Tu feras du Air Guitar s’il le faut, on va te trouver un truc !". Finalement, Nico me propose de participer au projet qu’il monte avec Château Brutal et Nicolas Bertin le batteur des White Loose Woman pour le Hootenanny sur Sonic Youth. Je me pointe aux répétitions où je commence à chanter d’une manière ou d’une autre. Parallèlement, j’ai envie de faire un truc pour le Hootenanny tout seul. J’ai donc monté un morceau de samples de Sonic Youth, composé de 24 boucles les unes au dessus des autres, afin de rendre un hommage à Kim Gordon.

Quel est ton regard sur la scène indépendante lilloise ?

Je l’ai vraiment découverte il y a deux ans grâce à Nicolas Djavanshir et au Tour de Chauffe. Cela m’a permis de voir des groupes comme Roken is Dodelijk, Lena Deluxe, Zoe et pas mal d’autres groupes. J’étais assez étonné par la qualité de tous ces groupes que je ne connaissais pas et par la découverte d’une musique que je n’écoutais pas obligatoirement. Je n’ai pas le même âge que ces musiciens mais quand la musique se partage, cela se passe bien. Alors, je suis rentré tout doucement dans ce milieu, en allant voir des concerts à La Malterie, au Nautilys, les résidences et j’ai commencé à suivre quelques groupes comme Roken is Dodelijk, Lena Deluxe, Sexual heartquake in Kobe, Leo88man, OSNI, Dylan Municipal, Flou et The White Loose Woman.

A propos des Forest Sessions comment les musiciens ont été sélectionnés ?

La Forest Sessions a été organisée suite au Hootenanny. Nous étions le noyau dur du projet : Romain Lesaffre, Marcus et les deux Nico des White Loose. Je leur ai dit "La base c’est vous quatre, vous avez des copains, des gens que vous aimez bien dans la musique, moi j’ai des gens que j’aimerais bien voir aussi, on va se faire une liste à cinq". La liste s’est faite assez rapidement, en moins d’un quart d’heure. C’était des gens qu’ils connaissaient, avec qui ils n’avaient, parfois, jamais joué ; avec qui ils avaient envie de jouer, souvent, mais ils n’en avaient pas l’occasion faute de temps. Ensuite, nous avons attendu les réponses de ceux qui pouvaient ou ne pouvaient pas venir. Le projet s’est fait plutôt simplement.

Pas de problèmes d’organisation ?

Nous avions le lieu.


photo : Ronan Thenadey

Il faut du matériel !

En effet ! Tout de suite, nous avons dit "On n’a pas d’argent !". On ne va pas commencer à louer du matériel, ni d’enregistrement, ni de table de mixage, ni quoi que ce soit ! Chacun amène quelque chose. D’abord, il apporte son savoir-faire et ensuite son matériel. Nous avons demandé à chacun de lister ce qu’il pouvait amener et ensuite nous avons choisi ce sur quoi nous allions jouer.

Une belle auberge espagnole !

Oui, surtout que jusqu’au dernier jour, nous ne savions pas si nous allions avoir une table de mixage. Au final tout s’est bien passé.

Le fait de rassembler des musiciens d’horizons divers pour qu’ils unissent leurs forces créatrices peut être considéré comme un projet philanthropique voire humaniste ?

Sûrement ! Sans que ce soit de grands sentiments ou de grands mots, c’est vrai que cela part de ça. C’est ma manière de faire et de voir les choses. J’ai envie de réunir les gens mais que cela se fasse naturellement, sans les forcer, à en être transparent.

Tu agis comme un catalyseur.

Comme un catalyseur de bonne humeur, oui !


il faut regarder la réalité en face.
Nous on trouve que c’est vachement bien ce qu’on a fait
les autres j’en sais rien !


Comment se sont déroulées les séances d’enregistrement ?

Des groupes se sont montés un peu naturellement par influences ou envies communes. Nous donnions à chaque groupe deux heures pour créer un morceau et une demi-heure pour l’enregistrer. Nous avons ainsi obtenu 17 morceaux, car ils ont dû composer rapidement. Je pense qu’un artiste a besoin d’un peu de contrainte pour créer. D’où l’intérêt du concept. Ces musiciens sont capables de bœuffer pendant huit heures d’affilée, cela ne leur pose pas de problème, mais au final il n’y a rien. Et nous, nous voulions qu’il y ait quelque chose.

 

Le but était de capter la spontanéité ?

Ce fut la grosse difficulté. De la spontanéité il y en a eu ! Des musiciens qui ne se connaissent pas, qui jouent ensemble, cela sonnait très bien et très vite. Au bout de cinq minutes, nous avions déjà une atmosphère. Ils travaillaient, jouaient pendant une demi-heure sans créer de morceau afin de voir les sons des uns par rapport aux autres ou comment quelqu’un pouvait se rajouter. Ensuite, ils essayaient de construire un morceau et c’est là où nous nous apercevions que nous perdions quelque chose. Nous avons assisté à des bœufs incroyables que nous avons parfois enregistrés. Mais, dès que nous essayions de structurer, une partie de la magie disparaissait, était perdue. Nous l’avons ressenti assez souvent. Il y a un morceau que j’adore qui s’appelle "Platon" et qui dure une minute trente, deux minutes. C’est simplement une gratte sèche et un synthé avec un son très criard. Le morceau s’est fait comme cela et il a été enregistré à la sauvage avec l’appareil photo qui le filmait. Nous ne l’avons pas refait deux fois. C’était dans la boîte, sans se dire cela fera un morceau !

Est-ce que les musiciens ont également eut le sentiment de participer à un évènement humain ou était-ce juste un exercice de style ?

Je n’aurai évidemment rien dit si je n’avais pas reçu de messages sympathiques des participants plus d’une semaine après les Forest Sessions. Tout s’est très bien passé. C’est même miraculeux, car le temps était magnifique. Je doute que sous la pluie cela ait donné un résultat identique ! Nous avons eu des réactions incroyables : "Ca m’a donné un coup de pied au cul", "Ca m’a montré que je pouvais faire plein d’autres choses", "J’étais un peu renfermé et ça m’a ouvert l’esprit". Nous avons eu des retours positifs de la part de tous. Mais surtout, "il faut que cela continue même si nous n’y sommes pas, car c’est une super expérience !". Ces sessions ont été une aventure décomplexante pour les musiciens qui se sont entraidés et ont pris beaucoup de liberté par rapport à leur musique.


photo : Ronan Thenadey

Ce week-end a été très créatif : musiques, photos, vidéos. Que va-t-il advenir de tout cela ?

Aujourd’hui, il y a un MySpace . Ce n’est peut être pas assez ? Je ne suis pas très visionnaire, je vis le moment présent. Mais j’attends énormément des gens qui ont participé au projet, pour qu’ils partagent leurs envies ou idées. C’est très possible qu’un jour la musique soit mise en téléchargement gratuit, car elle n’appartient à personne. Tous ceux qui ont participé aux Forest Sessions peuvent reprendre les morceaux. Avec les vidéos nous avons monté un film de 22 minutes que nous allons mettre en ligne. Le futur de tout cela ? Un concert ! C’est ce que nous pouvons espérer de mieux. Rejouer les morceaux en live après une semaine de résidence. Ensuite c’est comme tout matériel audio, à un moment certains ne l’écouterons plus, mais il restera disponible sur Internet. Je n’ai pas plus de vision que cela. Et puis, il faut regarder la réalité en face. Nous on trouve que c’est vachement bien ce qu’on a fait (rires) les autres j’en sais rien ! Je n’ai pas assez de retour d’un public inconnu !

Est-ce que cette diversité de musiciens à permis de créer un disque très éclectique ?

En fait, les musiciens étaient quand même des Rockeurs. Basse, guitare, batterie et on y va ! Ce qui m’intéresse c’est quand les musiciens jouent un autre style, et en général, ils le font bien. Il était conseillé que les membres d’un même groupe ne jouent pas ensemble, car le but n’était pas d’assister à une répét’. Histoire de se mettre dans le bain, le premier morceau que nous avons enregistré est la reprise de "Collapsing New People" du groupe New Wave Fad Gadget. J’étais assez étonné car il n’y avait que Morgan qui connaissait cette chanson ! Ils l’ont très bien joué, plus sec que l’original. Ensuite, je leur ai un peu forcé la main, car je suis très fan de Dub : "J’veux un Dub, j’veux un Dub !". Ils avaient un peu de mal à me le faire et puis de manière assez simple est venu un morceau de Reggae très bien chanté par Sebastien d’OSNI. Ils ont fini par faire un Reggae, un Dub à la fin, de la Pop, de la New Wave et au milieu évidemment du Rock un peu plus "bourrin" ! Un mot fréquemment utilisé de manière assez drôle.

Comment as-tu commencé ton itinéraire musical ?

J’ai vraiment commencé avec Pink Floyd et l’album The Wall. Un album que je me suis acheté deux fois tellement il était rayé même s’il n’est plus aujourd’hui l’album que je préfère. Je suis vraiment fan de la période des grands albums comme The Dark Side of the Moon, Wish you Were Here et Animals. Ensuite, je me suis mis à la New Wave. Un petit peu en me disant "C’est quoi cette petite musique, avec des morceaux de trois minutes trente, comparée à Pink Floyd ?". Je trouvais ça très petit mais finalement je m’y suis mis. U2, The Cure, Simple Minds, les années 80, j’étais dedans ! Par la suite, j’ai été beaucoup plus influencé par des producteurs. Le premier étant Brian Eno que je considère comme une référence, avec ses 4 albums rock, ses débuts ambiant, My Life in the Bush of Ghost avec David Byrne, ensuite en tant que producteur avec les trois Bowie berlinois, Talking Head et U2 que j’aime moins.

Il a également produit James

Oui, sur l’album Wah Wah, dont je suis très fan !

Comment as-tu découvert le Dub ?

A l’époque je fréquentai un magasin bien connu de Lille qui s’appelait La Boucherie Moderne. Le vendeur, Eric, m’a fait découvrir le Dub du label anglais On-U Sound, au son très différent du Dub jamaïcain. Le producteur, Adrian Sherwood, a également mené des projets parallèles un peu plus électro et funk avec un des plus grands groupes que je connaisse : Tackhead.

Finalement tes références sont complètement différentes des styles musicaux des groupes qui ont participés aux Forest Sessions ?

En effet, je suis plutôt bloqué Dub même si j’ai des influences plus Noisy avec Steve Albini en tant que musicien avec Big Black, Rapeman et Shellac. J’écoute aussi un peu de Rap avec Public Ennemy. J’avoue que je ne me disperse pas car j’ai tendance à me cantonner à quelques groupes. Au final, je n’écoute pas beaucoup de chose, mais j’écoute beaucoup la même chose !

Vincent GILOT aka Le Guise
interview accordée le 27 Octobre 2009
Kroundave's House, Hellemmes (et moi aussi)