Avec D.E.R, Red a décidé de nous la faire à l’envers, version palindrome. Lui qui est habitué à mélanger les genres ne vas sûrement pas ce brider avec ce nouveau projet. Depuis plus de 20 ans, Olivier Lambin aka Red, brouille les pistes et les recouvre parfois de ses bidouillages électro. Individu inclassable, il a traîné ses boots dans le folk influencé par Dylan, évolué vers un Rock plus indie et expérimental avec l’album Social, Hide and Seek où participe Noël Akchoté, puis il a fait un crochet par l’univers de Kurt Wagner et Lambchop sur Nightcrawler. Toujours surprenant et inattendu, il a incendié les dancefloors et nous a fait groover sur des rythmes funky-electro avec sa bande de rouquins Bodybeat. Sans oublier sa revisite musicale, le temps d’un foot-concert, de la douloureuse demi-finale France-RFA avec Seville’82 ou encore My Unprivate Blues Anthology, ce superbe projet où se mélange blues, chanson en ch’ti mi, électro et jazz fusion qui devrait, je l’espère, voir le jour, un jour ! Red est une éponge qui absorbe de la musique. Vous la presser un peu et il en sort un cocktail musical improbable. Ainsi, il peut se permettre de reprendre Gil Scott Heron et de teinter ses compositions de Swell sur Felk Moon.
Pour ce nouveau projet, Olivier Lambin s’est composé une équipe solide avec un grand D à la batterie. Olivier Durteste connu pour avoir tenu, au début des années 2000, les fûts de GOMM (pas GUMM !!!! n’est-ce pas Ulivier?) un groupe indé lillois avec des influences krautrock (l’album Destroyed to Perfection était sorti chez PIAS). Aujourd’hui, il poursuit son chemin avec DDDxie et Jimi Connors ExperienceE loin d’être mineur. Jérôme Excoffier est de retour à la guitare. L’éternel ami et collaborateur de longue date du cercle Red. En effet, ils jouaient déjà ensemble au début des années 90 dans le groupe La cuve quand ils vivaient à Annecy. Vous pouvez également découvrir son univers pictural, puisqu’il est également peintre. Finissons avec celui qui ne manque pas d’R même s’il s’est sacrément dégarni : Red himself ! Même s’il jouait déjà de la basse sur Social, Hide and Seek, notre rouquin malicieux raconte, à qui veut l’entendre, une facétie dont il a le secret «Avant j’avais la voix grave et je jouais de la guitare, maintenant que j’ai la voix aiguë, je joue de la basse.» avec le sourire aux lèvres et les yeux qui pétillent.
L’élément de base sur ce nouvel album c’est la batterie. Olivier demande à Cosmic Néman, le batteur de Herman Düne, et Olivier Durteste de lui proposer des rythmes de batterie qui lui serviront de fondation pour créer ses nouveaux morceaux. Quelques mois plus tard, les musiciens se retrouvent dans la campagne alsacienne au Klein Leberau à Sainte-Marie-aux-mines, le studio de Rodolphe Burger, pour enregistrer les chansons de l’album. Un endroit charmant et bucolique où le passage d’un cerf donnera l’idée de créer des personnages décalés : L’ours, City Town Bear et The Beast, le Iggy Pop mutant orné de bois, que l’on retrouve dans les clips de Normal et Tired. Après The Nightcrawler et Felk Moon, Olivier qui est habitué au produit unique et à la série limitée, a réalisé un dessin différent sur le macaron central des 500 vinyles.
L’album s’ouvre sur Normal. Logique! Ca grince de partout, puis ça commence à groover à mort. Et Red qui nous rappelle à qui veut l’entendre «I’m fuckin’ Normal». Le ton est donné. La musique suinte le macadam, le Rock est urbain mais avec une touche de bidouillage électro. Forcément on arrive en déséquilibre sur Ready to Founce. Un terme d’argot qui associe fall et pounce. On est a deux doigts de se casser la gueule mais ça tient toujours la route. On s’accroche aux riffs, la guitare de Jex pleure et hurle. Si je chute, appelez le Dr Feelgood ! Si avec toute cette tambouille on ne fini pas par obtenir un Supersound, c’est qu’il y a une couille dans le pâté ou bien que vous avez du persil dans les esgourdes. Pourtant la recette est efficace : groove entêtant et riffs accrocheurs. Presque des chœurs à Beach Boys. Non je déconne ! On poursuit l’aventure musicale par un crochet électro-punk-nihiliste avec Tired où tous les instruments sont maltraités pour donner un étrange maelström entre punk et métal. Glou, glou, glou. Baignade interdite. Attention au Shark. Une sorte de folk débridée teintée de bidouillages bruitistes à la sauce Red. Qui dit requin, dit surfer. Il faut respecter la chaine alimentaire. Et c’est sur le Surfer Rosa des Pixies que nos trois gaillards sont allés se frotter au Cactus pour une reprise urticante. Si çà gratte c’est bon signe, c’est que vous êtes en vie.
Changement de face. Même profil ! Le groove, toujours le groove. Pas de connerie! Ca balance encore sur Bollock Boys. Les gimmicks sont lumineux. Red avec sa voix de vieux crooner essoufflé nous fait encore swinguer. Tiens, sale gosse prends-toi celle là ! Au lieu de rester devant cette émission à la con, branche la Tele…caster et va jouer du Rock’n Roll. Sur Screen Kills, D.E.R. nous offre un titre post-punk accrocheur qui possède toute énergie du Gang of Four. Avec D.E.R. pas de risque de coupure de courant cet hiver, faites juste attention à vos pieds. Sortez votre Red Energy Dome pour vous rechauffer sur Auto Mo-Down. Sans aucune vergogne, nos lascars revisitent Devo. Cela donne une version bien plus chaude car moins synthétique sans oublier le style de Jex qui apporte beaucoup de relief à ce morceau, à l’origine, relativement linéaire. Je ne sais pas à quoi ressemble de Schmilblick de Red, en tout cas, It Ticks ! Une bombe ou bien encore une ce ses bizarreries musicales ? Une sorte d’indie-folk forcément déconstruit mais recollé de manière bancale. Une sorte de préparation mentale avant d’aller réserver une piaule au Heartbreak Hotel. Ne vous attendez pas à voir surgir le King en réceptionniste. Non ! Nous atteignons le summum du dynamitage. Retrouver ou imaginer l’original après l’écoute de cette reprise tient du domaine de la gageure. Red est au choix, un génie ou un Erostrate. Bravo l’artiste. Il fallait oser proposer une reprise aussi radicale de ce monument du Rock qui pour le coup a été maintes fois repris. Plus fort que The Residents. Ce titre n’avait vraiment été torturé que par notre Jojo national. Et si Elvis se retourne dans sa tombe, cela signifie qu’il est peut-être encore vivant. L’hôtel a perdu de sa superbe, il ressemble plus à un EPAD miteux et glauque. La tristesse se sent ! Voix vacillante presque lugubre, beats électro hypnotiques, guitare stridente. C’est bon je rends ma piaule et vive la vie ! Surtout qu’elle semble bien fragile après un Car Crash Disasters au rythme enivrant qui galope vers son ultime destin.
Avec Supersound, D.E.R. s’autorise tout. Un éléphant dans un magasin de porcelaine. Et alors ! Cela est une belle opportunité pour laisser libre court à son imagination. Dynamitage en règle, remontage et collage douteux ou bancale, mélange des genres. So fuckin’ what ! Red s’amuse comme un gamin avec sa bande de pote. Il expérimente et s’accorde le droit à l’erreur. Ce Supersound c’est le Mellow Gold de Red. Tout se tient, mais rien n’est droit. On s’en fout ! Car l’album déborde d’énergie, de vitalité et de créativité. Il y a du groove à tous les étages, ca riffe dans les escaliers, les beats et bidouillages se jettent par les fenêtres, et il y a toujours cette voix fragile et éraillée qui rappelle un vieux gramophone à aiguille.
Vincent GILOT aka Le Guise
11 Décembre 2022