Mais qu’est-ce qui fait courir Forest ? Attention, il ne s’agit pas de Forrest Gump le naïf chocophage et coureur sisyphéen qui a deux R. Le nôtre de manque pas d’air pourtant. Forest Pooky traine depuis quelques années sa guitare et son sourire barbu là où le vent, la vie, l’envie le mènent ce qui lui vaut le joli sobriquet de Troubadour céleste (je préfère le troubadour au clochard). Ayant décidé devant la pandémie de reporter la sortie de son nouvel opus, il s’est demandé ce qu’il pourrait bien faire pour occuper ce confinement : il aurait pu butiner sa muse pour s’enivrer de nectar divin. C’est graveleux. Il a mis Euterpe à cette relation et s’est contenté de gratter sa guitare pour réaliser un album de reprise assez original.
L’artiste définie ce concept comme un disque collaboratif. En effet, notre barbu jovial a uniquement enregistré les pistes chant et guitare des titres qu’il a sélectionné. Un choix plutôt éclectique. Un peu comme la boite de chocolat de Forrest Gump « On ne sait jamais sur quoi on va tomber ! ». Ensuite, il a proposé à des musiciens ou des ingénieurs du son, qu’il a côtoyé ou rencontré au hasard de la route, d’arranger ces chansons sans écouter le morceau original afin de conserver l’insouciance et la curiosité du regard neuf. Les arrangements sont parfois surprenants car Forest Pooky leur avait donné un cahier des charges très restrictif « Faites-en ce que vous voulez, amusez-vous ! » : mieux que la carte increvable au « 1000 bornes », la carte blancheur immaculée avec la bénédiction de Saint-Forest.
La sélection est éclectique disais-je. Un joli éventail qui se promène des années 50 à notre décennie. On retrouve des morceaux qui sont des standards et des tubes en puissance que même ta grand-mère connait comme « Love Me Tender » d’Elvis Presley et « Ain’t no Sunshine » de Bill Withers mais aussi la chanson « You’re Welcome » du dessin animé Vaiana, la légende du bout du monde de Walt Disney. Cela peut surprendre ! Des morceaux plus Indie comme « Fruit Fly » de Nada Surf ou Punk comme l’énergique « Capsized » de Samiam. Les grands songwriters sont à l’honneur comme le Boss avec le magnifique « Atlantic City » de l’album Nebraska et David Bowie qui gagne le pompon avec deux chansons. Mais il y a des explications à tous ces choix. En effet, il ne s’agit pas d’une sélection du genre « mes morceaux préférés ». Chaque morceau est enraciné dans la vie du musicien avec des anecdotes marrantes, joyeuses et parfois tristes. Chaque chanson est étroitement reliée à un souvenir particulier, une émotion. Je ne vous en dirai pas plus et vous laisse le plaisir de découvrir le livret qui accompagne l’album.
Pour ce qui concerne les arrangements. Ils sont étonnants, surprenants voir iconoclastes. Ces artistes ont souhaité apporter un grain de folie, une touche personnelle, de la créativité à un exercice qui peut souvent paraitre fade. Frank Turner sur « Atlantic City » a quasi supprimé la guitare pour la remplacer par des boucles et un beat très dansant. Il a réfréné ses délires et avoue même « I lost myself in a forest of insanity ». Quand Fred Noguet ajoute un doigt de « London Calling » sur « You’re Welcome » cela donne un goût particulier et agréable comme un peu d’armagnac dans du café, ça Punk un peu. Chris Gordon, du groupe Baby Chaos un groupe écossais que j’avais découvert avec le single « Go to Hell » dans années 90, se marre avec Thomas Pesquet sur un « Space Oddity » spatial. En effet, rien n’est plus compliqué pour un musicien de jouer une bonne reprise où il s’est approprié la chanson et qu’il en a fait une version personnelle. De plus, Forest Pooky apporte une couleur très agréable à toute ces chansons avec sa voix chaleureuse et sans yaourt ni fruit. L’avantage d’être né et d’avoir vécu quelques années aux States. L’album Cover Stories permet de saluer le travail de magicien du son de ces arrangeurs qui à coup de baguette magique – Shazam – donnent des couleurs et des reliefs surprenants à ces reprises.
Ce très bel album est également une occasion de découvrir des chansons et des musiciens inconnus, une invitation à défricher la route, s’aventurer, se surprendre, s’étonner et s’emparer d’un nouveau trésor. Cerise sur le gâteau, Forest réalise avec Olivier Portnoi, du groupe Dead Pop Club, des vidéos Podcast où ils échangent avec l’arrangeur. Ils racontent leur rencontre et surtout comment ils ont abordé cet exercice de style. L’album est disponible chez Kicking Records mais si vous le demandez gentiment à votre charcutier préféré voire disquaire, il devrait vous le commander.
Vincent GILOT aka Le Guise
2 juillet 2021