Versari

Sous la peau

2020

http://www.versari.org

01. Des images
02. Brûle
03. Tu te disais
04. Rose
05. Reviens
06. La peau au ventre
07. Némésis
08. Plus de tristesse

Je vais vous épargner les sempiternelles théories musicales sur le cap du troisième album. En effet, le trio revient avec un troisième opus incandescent comme un charbon ardent. A chaque décennie, son album de Versari : Jour après jour en 2006, puis Ostinato en 2013 et 7 ans plus tard Sous la peau. Il semble évident, à qui maitrise la soustraction et quelques notions du temps, que chaque album est le fruit de plusieurs années de travail. La création artistique est un processus qui peut paraitre long car plus c’est long, plus … vous connaissez la suite ? La réalité est moins évidente et plus complexe. Des obligations professionnelles car chaque membre du groupe à des activités annexes qui sont nécessaires pour mettre la soupe dans la gamelle comme disait ma grand-mère et indubitablement financer les albums, Jean-Charles en tant qu’ingénieur du son a son propre studio Poptones, Laureline travaille dans le milieu de la psychiatrie et Cyril en plus d’être batteur sur Zone-Libre avec Serge Teyssot-Gay accompagne des musiciens comme Miossec en tournée. Il y a aussi des passages à vide et la difficulté de télescopage d’agenda lorsque l’un vit à Paris, l’une à Rennes et l’autre à Angers. Cela fait pas mal d’inconnues pour une équation dont le résultat est un album qui devrait rapidement atterrir sur votre platine qu’elle soit vinyle ou CD.

Que trouve-t-on sous la peau, lorsque l’on a ôté l’épiderme ? Versari a-t-il longtemps contemplé le bistouri et le scalpel de Bashung ? Dissection. Sans son enveloppe de protection le derme est à vif (comme les nerfs) et les sensations douloureuses, car la peau protège le corps et peut-être l’âme aussi. La pochette de l’album représente parfaitement cette atmosphère. Il s’agit d’une peinture de James F. Johnston qui est également connu comme membre du groupe Gallon Drunk. Elle s’intitule Master Performer Portraying Death. Pourquoi la symbiose entre la pochette et la musique de Versari est-elle si forte ? Tout d’abord il y a ce corps surmonté d’un crâne ; symbole récurrent depuis Ostinato. Puis, ce mélange de couleur entre l’ocre et le rouge qui peut représenter la puissance organique d’un incident qui dévore tout sur son passage. En effet, autant Ostinato est froid voire glacial avec sa pochette d’un noir profond, Sous la peau, lui, est exothermique, la chaleur qui se dégage de l’album est celle d’un bucher, d’un incendie violent et foudroyant.

Sous la peau est un album qui comme le confiait Jean-Charles Versari s’est réalisé sans pression mais avec une volonté évidente d’assimiler l’expérience d’Ostinato et de murir, développer, sublimer la relation entre les musiciens. Entre la décision d’enregistrer un nouvel album et la sortie officielle de Sous la peau, il y a eu une période créative de deux ans qui ont permis de gagner en confiance, d’expérimenter la production de boucles électroniques en se penchant sur les synthés et tous ces instruments quasi ludiques mais chronophages. Une période où le groupe a développé son identité et une vraie énergie qui se concrétise par le fait que toutes les bases des morceaux ont été enregistrées live.

L’album s’ouvre avec « Des images » et sa mise à nu. Dès le premier morceau l’énergie est présente. Guitare stridente et drone entêtant. La chanson nous invite à pousser la réflexion sur l’usage, l’utilisation voire la surconsommation de l’image dans notre société (du spectacle !) : média, réseaux sociaux, publicités. Vecteur de l’infobésité et de la désinformation, élément indispensable pour nourrir l’égo ; les images sont partout. Triturée, retouchée, manipulée, sélectionnée, l’image nous présente quelle vérité ? « Et dans cette illusion il ne reste rien ». Puis d’une voix calme et sereine, Jean-Charles le pyromane, propose dans «Brûle » d’oublier une histoire d’amour par le feu « une allumette et c’est plié ». Brûler pour mieux oublier. L’incendie progresse, maintenant les flammes embrasent « Tu te disais ». Une chanson qui résonne comme un pendant de « Les mots que tu disais » d’Ostinato. La chanson rappelle l’importance des mots même s’il y a la volonté d’une purification par une sorte d’autodafé. « Tous les mots que tu écrivais, tu voulais tous les incendier. ». L’incendie se poursuit par une fièvre intérieure alimentée par le chagrin et l’amertume de « Rose ». Le chant parlé d’une voix monocorde sans émotion évoque le style de Rodolphe Burger. La basse hypnotique rajoute une couleur morne à cette scène de vie dont nous sommes les spectateurs. Ensuite, « Le désir te brûle les mains » sur « Reviens » qui raconte les tourments de l’emprise psychologique d’une relation. Le foyer est maintenant situé dans le centre des énergies. La passion dévorante, la peur de perdre l’être aimé nourrissent inlassablement ce feu intérieur. La voix de Laureline qui rejoint Jean-Charles sur le refrain apporte une touche de sensualité à « La peur au ventre ». Devant la page vide, le chanteur invoque l’esprit de « Némésis » et son courroux. En effet, la déesse grecque, chère à Ignatius Reilly dans La conjuration des imbéciles, symbolise la colère divine envers les humains coupables d’hubris, c’est-à-dire qui font preuve de mégalomanie, d’orgueil et de démesure. Des valeurs loin de l’humilité que symbolise le crane de Versari. Cette chanson avait déjà été écrite lors des sessions d’Ostinato. Cette première version avait été diffusée en 2014 sur leur site puis complétement retravaillée et arrangée par le groupe pour figurer sur ce nouvel album. C’est un homme las et épuisé qui clôture cet opus en demandant simplement que les tourments cessent : « Plus de tristesse ». N’en jetez plus, merci. Plus qu’une requête c’est la promesse de ne plus revivre ce fardeau douloureux. La mélodie rappelle l’ambiance triste des premiers albums d’Interpol.

Sous la peau est un album qui traite de la perte, que ce soit d’un être cher, de soi-même ou de l’inspiration. Nous retrouvons une plume aiguisée qui sait choisir le mot juste pour développer une idée, raconter une histoire, hurler sa colère contre ce qui le révolte comme le mensonge et le dévoiement de la vérité. Un sujet tellement ancré dans la réalité et nos sociétés ; les fake news et le complotisme étant de bien tristes exemples. C’est là que se mesure la qualité de l’écriture de Jean-Charles Versari quand d’une histoire personnelle, les textes prennent une dimension universelle et qu’ils font écho à ce que chacun peut vivre ou bien ressentir. Nous ressentons dès la première écoute la chaleur et l’énergie libérées par l’album. Si sur Ostinato, la colère était étouffée et maîtrisée, pour Sous la peau, le groupe a dépassé son point de résilience. La colère s’exprime sans tabou ni retenue que ce soit au niveau du chant ou de la musique. Les instruments sont joués avec la puissance d’un Post-Punk solaire : distorsion jusqu’au larsen sur « Brûle », riff accrocheur sur « Némésis », basse omniprésente qui tient la baraque, batterie enclume sur « Reviens ». Après avoir écouté Sous la peau, pensez à utiliser une manique pour éviter de vous brûler les doigts. Safety first !

Vincent GILOT aka Le Guise
19 Novembre 2020