Quand la démarche artistique est cohérente avec la personnalité et les valeurs des musiciens, les orientations musicales paraissent évidentes. Aussi évidente que le nez au milieu de la figure. Sans pour autant parler de déterminisme, il faut admettre qu’un chemin légitime et évident se dresse devant The Inspector Cluzo depuis un moment. Ce n’est pas la première fois que je l’écris ; depuis Rockfarmers, The Inspector Cluzo est passé de la Fusion au Roots. Les albums se suivent et ne se ressemblent pas mais la substance, le substrat, l’essence, mieux la quintessence reste la même : le Blues. Probablement, qu’un jour les Cluzo nous feront le plaisir d’enregistrer un album live, dépouillé et sincère (comme eux) dans leur grange, qui sente la paille et la graisse d’oie (un jour de plumère), sobrement intitulé Juke Joint. Mais je ne suis pas là pour vous présenter mes conjectures. Parlons plutôt … Waouf, waouf ! Oui, parlons, de Brothers in Ideal, leur dernier album estampillé unplugged. Unplugged ! Vous savez ? Petit rappel. Le Rocker comme la péripatéticienne voire l’académicien à son dictionnaire. Les mots peuvent être identiques mais les définitions peuvent varier. Si l’académicien à le Larousse dans la tête, la pute le petit Robert …rangé bien au chaudentre ses f… serre-livres, le Rocker lui ne jure que par son Riff et Arty. (Le Petit Rocker illustré de A à Z de Riff et Arty, La siréne, 1994). Un peu de silence siouplait. Définition. « Unplugged : Acoustique. Absence d’amplification. Les seuls concerts Rock que supportent (relativement) les oreilles sensibles du voisinage. Avantages : tu peux jeter ta panoplie d’effets. Inconvénients : c’est du Hugues Auffray ». Au siècle dernier, dans les années 1990 (Raconte Papy), la chaine de télévision américaine MTV a popularisé ces concerts débranchés dont les plus célèbres sont ceux de Nirvana et Eric Clapton. Se passer en concert du concours d’EDF et de Marshall est un exercice qui requière une certaine maîtrise. En effet, l’acoustique ne souffre pas la médiocrité souvent masquée par une tonne d’effets et un volume grossier lorsque c’est électrifié. Quand c’est réussi, passer de l’électrique à l’acoustique en conservant son énergie et sa hargne s’avère un spectacle fantastique comme ce concert de Two Gallants à l’Européen en 2007, dont je garde un souvenir impérissable pour plusieurs raisons.
En mai 2019, alors que The Inspector Cluzo assure la première partie de Eels aux Etats-Unis, les musiciens profitent de cette occasion pour faire un crochet de quelques jours par Nashville pour enregistrer en acoustique l’album We the People of the Soil avec des musiciens du cru. Toutes les chansons, sauf « Pressure on Mada Lands », ont été réinterprétées et arrangées dans un style vraiment singulier. Ici, pas d’effet cosmétique, chaque chanson jouée en acoustique possède une couleur et un relief particuliers qui la distingue de la version électrique. Cela est particulièrement flagrant sur « Globalization Blues ». Les deux versions sont clairement différentes. La version électrique est un Rock bien gras, rapide et puissant alors que l’acoustique est un Blues calme et posé joué au Dobro avec de jolis slides inspirés par le Blues du Delta, le tout renforcé par un piano dérobé dans un vieux bordel de la Nouvelle-Orléans. Les cordes comme sur « Sand Preacher » ajoutent du relief. La voix de Laurent gagne en chaleur ; posée, maitrisée et confinée dans une tessiture plus restreinte elle donne de nouvelles couleurs aux chansons. En fait, la seule chanson où les versions sont les plus proches – probablement un signe – c’est justement « Brothers in Ideals », la chanson qui donne son nom à l’album et qui clôture les deux albums.
Juste avant le confinement, The Inspector Cluzo a fait une tournée acoustique de 14 dates avec des musiciens de Nashville au violon, violoncelle et piano qui s’est achevée le 15 février. Une superbe expérience musicale grâce à l’ambiance feutrée et très chaleureuse créée par les musiciens. Ainsi, que la joie de profiter au maximum d’une musique parfaitement amplifiée qui s’écoute sans bouchons d’oreille. Durant cette tournée, Laurent et Mathieu ont rendu hommage à Neil Young en interprétant une version de « Hey Hey My My » qui figure sur leur Organic Farmers Season : un titre inédit par saison. C'est mieux que Vivaldi. Non ?
Cet album acoustique est une jolie pépite folk bien protégée dans un écrin boisé qui vibre en harmonie avec de belles cordes douces comme du velours pour mettre en valeur des paroles chargées de sens portées par un chant chaud. Un album à écouter près l’âtre quand dehors souffle la bise. Un peu de chaleur pour mieux supporter le confinement.
Vincent GILOT aka Le Guise
23 Mai 202