7 weeks, c’est quasiment une durée de confinement, non ? 7 semaines de confinement, si c’était avec Kim Basinger ont pourrait rajouter une bonne quinzaine de jours de rab. Mais Edouard, lui, n'est pas trop fan de 7 weeks, ni de Kim, il préfère huit semaines. Cette période à au moins le mérite de nous inviter à prendre le temps. Ce temps nécessaire pour écouter convenablement nos disques sur une installation d’haute-fidélité digne de ce nom afin de restituer la beauté des reliefs, des nuances et des couleurs de la musique. Car, un album enregistré avec passion doit s’écouter avec sagesse et respect. Et de la passion, il y en a sur ce nouvel opus de 7 weeks. Y’aurai pas de la persévérance aussi ? Y’en a … y’en a aussi ! Et puis de la résilience et de l’abnégation car 7 weeks a été foudroyé par la pandémie de COVID-19 avec les fermetures des salles et les annulations des concerts. En effet, le groupe a juste débuté sa tournée quelques semaines avant le confinement. Pas étonnant, que cet album s’intitule sobrement Sisyphus.
Albert Camus écrivait dans Le mythe de Sisyphe que « Les dieux avaient condamné Sisyphe à rouler sans cesse un rocher jusqu’au sommet d’une montagne d’où la pierre retombait par son propre poids. Ils avaient pensé avec quelque raison qu’il n’est pas de punition plus terrible que le travail inutile et sans espoir. ». Ce livre pose les bases de l’absurde chez Camus. Est-ce que cela en faut encore la peine ? A quoi bon ? sont sûrement des questions que se sont posés Julien et Jérémy, les musiciens du noyau dur de 7 weeks lorsque l’avenir du groupe a été discuté en 2018. Comme beaucoup de groupe ils ont connu des départs et les changements de line-up qui passent souvent par des remises en question quasi-existentielles. Mais malgré les affres et les heurs de la vie de musicien, ils ont décidé de pousser, encore et encore, leur Rock, atteindre le sommet, se rapprocher des étoiles puis recommencer. Car comme l’écrit Albert Camus « Il faut imaginer Sisyphe heureux. » car « Son destin lui appartient. Son rocher est sa chose. De même, l’homme absurde, quand il contemple son tourment, fait taire toutes les idoles. » et les salisseurs de mémoires qui feraient mieux de fermer leur claque-merde rajouterai Maitre Folace. En tout cas, les 7 weeks malgré l’adversité, continuent de tracer leur (micro)sillon avec beaucoup de majesté.
Ce nouvel album possède beaucoup d’élégance. D’abord il y a cette pochette riche de symboles qui s’inscrit dans un style franchement progressif avec cette côte rocheuse battue par un océan tempétueux, ce ciel lourd et nuageux d’où semble provenir d’un cyclone, une sorte de vortex cellulaire qui déposerai une tête de bison ; seigneur des steppes naturelles décimé par le grand génocidaire : l’homme. Vous les pensiez mort ? Ils sont toujours présents, invaincus et possèdent l’énergie d’un tsunami. Désertant Paris, ses pollutions, son stress, son périphérique et ses hôtels « cheap » mais trop cher, Sisyphus a été enregistré comme l’eau minérale au cœur de l’Auvergne. Un environnement calme et apaisant pour un album maitrisé que ce soit au niveau des compositions et du chant.
Je déplace le bras en bordure su vinyle. L’aiguille se pose délicatement et oscille dans la gravure musicale. La guitare chagrine quelques notes puis le clavier rempli l’espace. Un morceau atmosphérique mais teinté d’une tristesse pesante. « Gone » plante le décor – « Another stone I’m moving on » – et introduit le mythe de Sisyphe. En 2017 disparaissait le chanteur Chris Cornell. « Idols » traite justement de ce manque de pudeur dans le traitement pathétique de l’information par les media et leurs images passées en boucle. « I can see you on the screen, devasteted, crushed and ruined, bound on your guitar you kneel, I can’t help you but I feel your misery ». Cette chanson casse aussi le mythe du Rock’n’Roll et nous invite également à réfléchir sur ces idoles qui deviennent parfois le pantomime grotesque de ce qu’ils furent. Quand the show must gon on devient le leitmotiv du capitalisme spectacle. Un piano funeste clôture le morceau où les notes résonnent comme le glas. Puis c’est l’énergie, la chaleur, la puissance : « Burn yourself for a ride » ! « Solar Ride » est taillé pour la route que vous avaliez du bitume en Corrèze ou en Arizona. Superbe morceau où Julien nous présente la largeur de sa tessiture en passant des graves aux aigües. Un résultat expliqué par une envie de relever le challenge et la qualité de la dynamique du micro. De belles progressions harmoniques viennent rajouter de la couleur à ce morceau puissant. « Solar Ride » reste dans le mythe avec Icare. Ici, il s’agit de se dépasser et aller de l’avant quitte à se bruler. « If you wish for a solar ride, you can’t stay stuck to the ground ». Le titre, lui, est inspiré d’un flipper des années 70. Puis arrive « Sisyphus » où la batterie justement évoque le roulement de cette pierre. « And everytime you climb and go on again ». La musique lourde et pesante évoque la pénibilité de la tâche. Sur « Magnificient Loser » nous faisons la connaissance d’un mec solitaire portant un T-shirt avec la bannière américaine. Il s’imagine roulant dans le désert, il rêve et vit sa vie par procuration mais quand il gare sa Ford Taunus près de sa barre d’immeuble, la réalité est bien loin de Los Angeles. La tête se relève.
Je retourne le disque pour passer la face B. Il y a une montée en puissance sur Sisyphus qui pourrait symboliser l’énergie à déployer pour pousser cette pierre. Les morceaux sont plus proches des influences Stoner. En effet l’introduction de « Breathe » rappelle les riffs de Queens of the Stone Age. Mais ici on se les gèle. Pétrifié, immobile, statique, ce morceau propose de sortir de cette prison charnelle en libérant nos membres « Shake your arms…move your legs …bang your head » et enfin danser. Lorsque vous traversez des moments difficiles les nuits aussi le sont. C’est exactement ce que raconte « Insomniac ». Grosse fatigue versus nuit blanche. C’est cette mauvaise fatigue qui caractérise l’activité avortée et empêchée comme pourrait l’expliquer Yves Clot. Le mental est ailleurs mais à la fin c’est le corps qui paye les arriérés de sommeil. Un stoner puissant mais pas assez hypnotique pour rejoindre le marchand de sable. Introduction à la slide pour un blues poisseux surement pêché dans une mangrove mouillée par « The Crying River ». Mefiez-vous ! Cette rivière n’est pas navigable car son courant puissant charrie infobésités, fake news, pensée unique et les merdes en tout genre qui inondent les réseaux dits sociaux et forment « la société des avis ». Au diable l’esprit critique, je n’y connais rien mais voici mon avis ! « 667-off », une chanson au titre énigmatique mais qui sonne bien, clôture l’album. « On joue sa vie comme on joue au flipper » chantait Téléphone dans les années 70. En 2020, c’est aussi avec le billard électronique que 7 weeks dresse le bilan de leur carrière « Same player shoot again ». Le morceau est structuré en plusieurs parties qui ont chacune une musicalité propre. Les deux premiers couplets représentent la naissance du groupe jusqu’à All channels off et les galères qui jalonnent l’histoire du Rock Les guitares acérées et la musique jouée pied au plancher caractérise parfaitement l’énergie pure et la fougue originelle. Break. Arrive un inventaire de verbe à la Frédéric Dard qui illustre parfaitement la vie de musicien qui oscille entre le plaisir de writing, playing et la douleur de crying, dying. Mais il reste l’espoir de rising. La musique devient sombre et tragique. C’est la période de Dead of Night et Carnivora. Des fondations pourries ainsi que mensonges et trahisons terminent de miner le groupe. Une période d’amertume « swallow the bitter and taste the lime » où il faut chasser les démons pour renaitre à nouveau. La chanson se termine sur une question adressée aux prétentieux bouffi d’égo qui s’imaginent au firmament mais qui n’ont pas la foi ni l’énergie de pousser, encore et encore, cette pierre qui roule. « Sparkles in disguise will you ever know ? ».
Le précédent album, Farewell to Dawn était caractérisé par une ambiance en clair-obscur et des chansons sombres voire funestes « King in the Mud », « The Ghost Beside me », le groupe était au bord de l’explosion comme le « Kamikaze » qui s’écrase volontairement. Dans une phase de dépression il faut parfois toucher le fond pour pousser puis remonter à la surface. Avec Sisyphus, 7 weeks revient avec un album solaire et puissant où les musiciens font le constat voire le deuil des années passées pour repartir de nouveau. Comme Julien Bernard me le confiait « Le voyage est plus important que la finalité. » ; ce qui m’a fait sourire, dans mon for intérieur, car c’est un leitmotiv qui m’accompagne depuis plusieurs années dans mon cadre professionnel dans le déploiement du Lean. Alors ? Embarquez avec 7 weeks. Le voyage continue.
Vincent GILOT aka Le Guise
8 Mai 2020