Délage

Loverboy Beatface

2018



01. Call me Today
02. I'm in Love
03. Loverboy Creation
04. Sun Keeps Raining Down
05. Instrumental
06. Sweet Tender Summer Apricot
07.Sweet Care
08. Dream of Me
09. Blue Air

Les fruits de ma cueillette sylvestre sont disposés sur un linge sec : de beaux champignons provenant d’une clairière dont peu ont connaissance des richesses gastronomiques qu’elle camoufle entre les fougères qui recouvrent les racines des chênes et châtaigniers. Lavés, nettoyés et maintenant secs, la lame aiguisée du demi-chef tranche soigneusement les cèpes, bolets et morilles aux couleurs d’automne. Il se dégage une agréable odeur d’humus et de sous-bois.
— « Tiens tu as une forme bizarre toi ! » dis-je en m’adressant à ce qui doit être une morille dont la forme phallique à retenu mon attention. Son pied coincé entre l’index et le pouce, je l’ausculte et le renifle, snif, snif, snif, comme un petit chien puis le sacrifie d’un coup sec. Tchac. — « Hop, à poêle comme tout le monde ! »
Persil, poitrine fumée émincée, œufs, tous les ingrédients sont là pour se préparer une bonne omelette forestière. Je bois une gorgée de Saint-Amour puis passe aux fourneaux.
Après avoir terminé ce repas frugal, je débarrasse la table, rassemble les couverts dans l’assiette que je vais déposer dans l’évier de la cuisine. Je traverse le hall et stoppe brutalement ; fait un pas en arrière puis tourne la tête vers le miroir de plain-pied. Dans mon élan, j’ai eu l’impression d’apercevoir une image fugace passer derrière moi, comme une sorte de chevelure blonde. Je scrute mon horizon à 360° : rien. Je visite les pièces de l’appartement : rien .— « Bizarre ! » Heureusement que je suis seul, car j’ai l’air un peu con à me promener avec mon assiette et mes couverts sales qui enfin rejoignent leur destination. Je me vautre dans le canapé en me demandant si le plus bizarre est de n’avoir rien trouvé ou d’avoir eu cette vision.
Je vais poursuivre ma réflexion en musique avec l’album Loverboy Beatface de Délage. Délage c’est Till Hormann qui comme son nom ne l’indique pas fait dans la Synthé Pop mais sûrement pas dans le Garage. Ce jeune allemand est la nouvelle signature du label Field Mates Records. D’abord il y a cette pochette qui ressemble à une héliogravure. Ne te ronge pas les ongles. L’ordre resonne encore dans mon esprit. Une résurgence de souvenirs. Les doigts trempés dans la moutarde. Ça pique mais on s’habitue. Par contre le mercure au chrome c’est moins classe. Les parents ont parfois des méthodes éducatives trouvées dans de vieux grimoires moyenâgeux genre Les enfants et la torture. Je regarde la pochette noire de l’album S de Délage et je me demande vraiment « Pourquoi se ronge-t-il les ongles ? ». Est-il anxieux ? Il peut, il pleut. Play.
Elle lui a dit dégage ! Mais Délage s’accroche « I want you call me today, please, please call me away » chante-t-il d’une voix monocorde et atone accompagné d’un clavier qui joue une répétition analgésique de rondes longues comme des jours sans pain. L’espace s’étire, nous sommes groggy ... droggy !! Mon champ visuel est perturbé, je n’ai plus de profondeur de champs, tout semble flou. Mon corps coule dans le sofa. Que se passe-t-il ? De rage, elle l’a appelé ? En tout cas Till chante à qui veut l’entendre « I’m in Love » avec beaucoup moins d’allégresse que les Beatles dans « I Feel Fine ». L’impression est plus froide et sombre sur « Loverboy creation » où se mêle aux effets Bubble, la rigueur et la froideur allemande de Kraftwerk. Les morceaux se succèdent sans que je m’en rende compte. La notion de temps disparaît. L’averse claque ses notes contre les vitres mais dans j’ai les yeux ensoleillés sur « Sun Keeps Raining Down ». Dans un halo, j’aperçois une femme à la chevelure de blé qui porte une corbeille pleine de gros abricots. Elle se rapproche et m’invite à prendre son fruit. Il est énorme et sa peau est douce ; des pouces j’écarte les chairs gonflées, je glisse ma langue dans la fente d’où coule un jus suave et ensoleillé puis dévore sa chair pulpeuse avec plaisir. J’entends au loin « Everything is love for me. ». Le clavier bontempi de « Blue Air » me sort de ma torpeur.
— « Quel trip ! C’était une omelette aux champis hallucinogènes ou quoi ? » j’articule avec difficulté. J’ai comme un œdème à la joue. Dans ma main, je crache un noyau d’abricot. Alors que je n’ai que des bananes et des pommes. Au pied du sofa, je ramasse une feuille sur laquelle j’arrive à lire : En effet, pas de déluge d’instruments. Tout est carré, minimaliste et carré : boîte à rythme au beat répétitif et clavier qui tire les notes en longueur pour créer un univers planant voire léthargique. Néanmoins, ces chansons minimalistes et planantes nous emportent dans un kaléidoscope psychédélique, un voyage sous acide qui rappellent, quand la guitare est un plus présente comme sur « Sweet Tender Summer Apricot », la période solo de Syd Barrett avec des chansons comme « Effervescing Elephant ».

Vincent GILOT aka Le Guise
24 juin 2018