And Still no Sunrise

2017



01. One Day at a Time
02. Togetherness is Compromissed
03. Off with yours Arms
04. Gruises and Goosebumps
05. To the Source

Le nez collé sur la vitre embuée, il regarde inconsolable la pluie s’abattre en rafales discontinues et violentes sur les corons depuis plus de deux jours. Phagocyté par un ciel d’encre, l’horizon et les silhouettes des terrils se confondent en un lavis uniforme et sombre qui ne Soulages pas les peines de l’âme. Car, il n’y a pas que ciel qui broie du noir. Revenu pour panser quelques blessures, les affres de la vie, près de ses vieux, ses racines, à la source quoi, il écope de la double peine.
Il lâche un « And Still no Sunrise… » shakespearien et désespéré en quittant sa vigie pour se rapprocher du poêle au charbon qui malgré le mois de mai libère encore cette chaleur nécessaire ; rempart thermique contre cette humidité qui glace les sangs et gèle les os. Un froid insidieux lui parcourt son corps de frissons et stigmate pendant un instant l’épiderme d’une chair de poule. Il s’agenouille et approche ses deux mains en éventails près du foyer. Elles captent les flammes qui dansent et s’échappent des galets d’anthracite. Dans la pièce voisine, le téléviseur que personne ne regarde diffuse le générique du journal télévisé. Il se demande pourquoi les Français apprécient-ils le journal de Jean-Pierre Pernault ? À mon anis, c’est sûrement pour leur rappeler l’apéro ! Il esquisse un léger sourire de son trait d’esprit. Il éteint le téléviseur pour écouter la dernière production de Tang. De la cuisine il entend sa mère fustiger « Qui a éteint la télé ? – c’est moi maman, je vais écouter un disque – encore ta musique de sauvage – oui maman ! ». Le père a servi de la Page 24 brune dans de larges verres en forme de calice qu’il probablement chipés dans un bar quand il était jeune. La coupe aux lèvres, il avale lentement le liquide épais aux saveurs torréfiées. Il y a cette introduction à l’harmonium et la batterie métronomique qui accentuent l’ambiance lourde et sombre de « One Day at a Time » comme les pieds engluées dans la glaise d’un champ après une semaine de drache. Une léthargie dépressive et inextricable qui contraint à vivre un jour après l’autre. Le chant lointain presque d’outre-tombe ressemble à un cri désespéré et vain. L’introduction s’enchaîne sans rupture à un « Togetherness is Compromised » dont la violence et l’énergie brisent toute forme de torpeur. Un morceau qui porte la signature de Tang : chant à deux voix, envolée puissante puis break rythmique suivi d’un riff mélodieux calme. Tang représente un phénomène physique et chimique caractérisé par une succession de variation d’états antagonistes extrêmement rapide : Attraction – Répulsion, Calme – Violence. Les morceaux se succèdent avec efficacité et sans surprise. Alors que les guitares déchirent l’espace sur « Off with your Arms », son regard reste focalisé sur un vieux cadre accroché au mur à côté de la massive armoire de famille. Ce cadre est une représentation au point de croix d’un tableau dans l’esprit de Millet ou d’une affiche de l’époque stakhanoviste. Un fermier puissant qui trace son sillon en poussant sa charrue. Il trouve que ce tableau est une bonne allégorie de Tang. Le sillon profond et énergique du Post Hardcore ! Creuser encore et encore pour se rapprocher « To the source ». Un tableau loin de l’esprit de la pochette dessiné par Pierre C. Philippe où le graphiste nous submerge d’une vague énorme qui déferle sur notre platine. Un tsunami d’instruments planqué dans le microsillon.
Il termine son verre, la pluie semble diminuer, peut-être, au loin il croit percevoir un faible rayon de soleil s’échapper de la mélasse sombre.

Vincent GILOT aka Le Guise
21 mai 2018