Adam H

Abolition

2017

http://adamhmusic.weebly.com

01. Abolition Rag
02. Obsidian
03. Shrill
04. Ithaca
05. Orion
06. Sarabande
07. Dues

Droit devant le tableau noir, j’inscris à la craie quelques mots-clés afin que les étudiants les orthographient correctement. Une opération un peu vaine car cela ne m’empêchera pas de dénicher quelques perles dans les copies du prochain examen. Miscible. Ce substantif défini la faculté de deux liquides à se mélanger.
- « Comme l’eau dans le pastis » intervient soudainement un étudiant boutonneux hilare et pas peu fier de son trait d’esprit.
- « Ce n’est pas vraiment à cela que je pensais » dis-je sans émotion.
L’horloge marque moins cinq et je vais enfin me libérer de ces zombies décérébrés. « Je vous demande de rechercher 3 exemples d’éléments miscibles et non miscibles pour le prochain cours. ». Après quelques soupirs devant la tâche insurmontable à réaliser, les sourires et des signes de vie voire de résurrection reviennent rapidement lorsque je libère tout ce beau monde en pensant très fort « Allez ! Barrez-vous tas d’cafards ».
J’ai moi aussi droit à ma récréation. Plus que d’autres d’ailleurs. Engoncé dans mon fauteuil. Je déplie mes cannes sur le burlingue. Si vous avez besoin de rien, j’en ai plein mon tiroir alors prière de ne pas me déranger même en cas de troisième Guerre Mondiale. Je suis réformé ! Enfin seul. Je pose mon casque sur mes oreilles pour écouter Abolition l’album d’Adam H. Play.

Si la musique était un liquide. Nous pourrions imaginer que les éléments joués par Adam et Jean-Charles soient miscibles. En effet, les deux guitaristes créent un maelström vertigineux où le folk chaleureux se confond avec le strident et métallique Post-Punk. D’un côté nous avons, Adam Hocker, un américain globe-trotter, amoureux de littérature qui a posé son sac à Paris pendant quelques années. De l’autre, nous avons Jean-Charles Versari, ingénieur du son du Poptones Studio (Paris, Xème) et surtout un musicien talentueux (Hurleur, Versari) qui tire sa quintessence de la scène Post-Punk. La nature est bien faite, il y a des arbres dont les fruits, même s’ils ne sont pas forcément comestibles, possèdent des vertus inattendues ; le fruit du hasard peut produire des albums comme Abolition. Car Abolition. c’est l’histoire d’une rencontre et d’une alchimie pleine de spontanéité. Comme me le confiait Jean-Charles « la création des morceaux s’est faite au studio ». Sur les compositions folks d’Adam, Jean-Charles est venu apporter comme un peintre une couleur un peu drone et des nuances à coup de distorsion. Dès le premier titre, « Abolition Rag », nous sommes littéralement emportés sur les terres de Calexico où Jean-Charles laisse courir sa Jaguar dans les plaines désertiques pour qu’elle puisse libérer son énergie électrique ; il ne manque que les mariachis. Mais nous sommes assez loin de Tucson. En effet, cette chanson nous plonge en plein dans la guerre d’indépendance des Etats-Unis et de l’abolitioniste controversé John Brown. D’où cette sensation de dualité ou de conflit entre le bien et le mal, les lumières et l’obscurantisme qui se retrouve sur tout l’album et accentué par le rapport Folk et électrique. Il se dégage une énergie tellurique de ces compositions qui défriche l’espace. Obsèdent « Obsidian ». La profondeur de cette roche noire volcanique apporte un équilibre à cette balade quasi hypnotique. L’expressionniste « Shrill » avec sa longue plage stridente porte bien son nom avec son atmosphère pesante où « the day never begins » et « Yellow turns to Grey ». Quelle est la destination de ce voyage intérieur et atmosphérique au chœur éthéré ? « Ithaca ». A moins qu’il ne s’agisse d’un voyage céleste et instrumental vers « Orion » pour tutoyer les étoiles. Ici, les ambiances sonores flirtent avec l’univers d’Oiseaux-tempête. Sur « Sarabande » nous sommes en mode Surfer Rosa. L’album se clôture sur un « Dues » où les notes au piano resonnent à l’infini comme un gouffre abyssale donnant à cette chanson une atmosphère sombre et apathique.

Le brouhaha des collégiens qui rentrent dans la classe comme une cohorte d’éléphants me sort de ma fragile torpeur et me rappelle que ma récréation est terminée.

Vincent GILOT aka Le Guise
23 mars 2018