Rock'n'Brawl

2017

http://www.fullthrottlebaby.com

01. Can't Stop the Fight
02. Coughin' to Death
03. Snap it
04. Unbreakable
05. Moped Klub
06. Lack & Wounds
07. Beer Hunt
08. Loud Punch
09. Nevermore
10. Gipsy Queen

Ma spécialité ce sont les enquêtes épineuses où il ne faut pas prendre de gant alors forcément ça pique un peu et ça saigne souvent. J’ai connu mon heure de gloire dans les années 80 avec l’arrestation de Gérard Lambert, qui au lieu de rester chez sa mère comme un bon fils avait préféré aller à Rungis. Loi de Murphy et scoumoune. Panne d’essence, meule en rade, nerfs à vif puis c’est le drame. Une sale histoire qui avait défrayé la chronique. A priori the Bad Boys are Back in Town. Le gang des chaudrons qui puent le deux-temps est de retour.

J’enclanche la marche arrière puis je relâche l’embrayage de ma GSA qui recule vers la place de stationnement. Le bras lové autour de l’appuie tête comme un pote un soir de beuverie je contrôle mon créneau. Comme un manche, oui ! Le cul de ma tire escalade la bordure ; un coup de volant et il retombe lourdement sur la chaussée. Vive la suspension hydraulique. Cergy j’y suis. Garé en face du Penalty, j’ai atteint mon but. Des Motobécanes bleues sont béquillées en tas. Mieux qu’un bar PMU, c’est un tuyau en acier inox que m’a dégotté ce vieux dégueulasse de Buko. C’est le joli sobriquet de mon indic. Cheveux gras en défaite, vu le nombre de batailles perdues pour daigner laisser sa tignasse entre les mains expertes d’un coiffeur et une barbe indisciplinée qui recouvre un visage couperosé orné d’un blair plus proche de la fraise de Plougastel que d’un orifice nasal. Un portait loin d’être flatteur mais plutôt réaliste. Dès le réveil, il carbure avec une piquette innommable, qu’il nomme son Meurt Sot. Gentiment, il m’invite régulièrement à partager son breuvage et découvrir les subtilités de ce nectar ; poliment, je décline toujours. Je préfère mourir idiot que de raboter ma tuyauterie.

Je ne peux pas dire que mon enquête démarre sur les chapeaux de roue. Le taulier m’a tendu un dossier anorexique où un ours a inscrit en lettres capitales « FULL THROTTLE BABY ». À l’intérieur juste un disque : Rock’n’Brawl. Comme Jules Maigret j’vais commencer par me rincer le gosier avec une pression bien fraîche dans ce rade. Qu’est-ce que j’rixe ?

Je pousse la lourde. Les mégots écrasés et les cendres de clopes ont déserté le pied du comptoir. Devant la falaise de formica orange, ce sont, désormais, coquilles et épluchures de cacahouètes qui composent la grève. Je fais un tour d’horizon rapide. Quelques turfistes ont les yeux rivés sur l’écran du téléviseur qui diffuse les courses de canassons, un vieux fait du gringue à la patronne, une grande blonde aux bras tatoués et aux formes généreuses moulées dans une jupe noire. Mes loustics sont vautrés sur la banquette en skaï à côté du flipper et le choix des bières pression est ridicule. Les H.P. crachent « C’mon everybody » d’Eddy Cochran.
Je pose mon cul sur un tabouret, mes coudes sur le zinc et lâche ma commande
- « Un picon bière siouplait … oui, avec du citron ! »
De l’index, je pousse le disque en direction de la donzelle en l’accompagnant de mon plus beau sourire :
- « Vous pourriez passer ça ? »
Ses yeux font les essuies glace entre les loubards, le skeud et moi ! Les miens sont ancrés sur ses iris et lui sifflent ai confiance. Elle prend le CD.

Un feedback tout en élégance, un riff accrocheur puis un long cri, douloureux, comme celui du blaireau qui s’est, malencontreusement, coincé les bijoux de famille dans ma tenaille pleine de doigts durant un interrogatoire. « Can’t Stop the Fight » c’est une bouffée d’oxygène salvatrice après cinq minutes d’apnée lorsqu’enfin tu sors la tête tuméfiée du lavabo ! Son énergie réveille mes sens. Comme la soif et l’envie de mettre une mandale au cave qui me zieute à l’autre bout du zinc. Je vide d’un trait mon Picon. Bruit de verre et claquement sec de doigts. La blondinette me prépare la p’tite sœur. La basse métronomique annonce un « Coughin’ to Death » puissant et enivrant. Le cave, lui, tousse comme un tubar’. Avec son régime jaja et gitane maïs, il est à deux doigts de cracher ou bien d’avaler son extrait de naissance sur le zinc. Je m’approche de l’ancêtre. Ma main gauche virevolte et vient se claquer entre ses omoplates, stoppant nette son expectoration. C’est mon côté bon samaritain, toujours prêt à rendre service… Et à prêter main forte. La tronche dans Paris-Turf, il bave sur Omar Sharif un merci qui vient autant du cœur que des bronches. Nonchalamment, je rejoins mon Picon en claquant des doigts au rythme de « Snap it ». La serveuse se marre. Un vrai morceau dans l’esprit Punk ! Court et rapide. Une affaire pliée en moins de deux ! Nous retrouvons la même spontanéité sur « Unbreakable ». Le club des pétrolettes me jauge de la tête aux tiags. Pas de quoi m’impressionner ! Ça commence à devenir plus Heavy. Imagine Lemmy descendre à fond l’avenue des Champs-Élysées sur une 103 SP kité Polini tandis que les guitares déchirent l’asphalte. C’est bruyant, ça décoiffe et ça ne freine pas ! Ben ouais, c’est « Moped Klub ». Une invitation à Headbanger. J’ai soif ; l’atmosphère commence à chauffer. La serveuse du bout des doigts chasse un bouton de son chemiser liberty et libère de son étreinte une poitrine généreuse. Ses yeux papillonnent, nos doigts ses fleurs, je butine ses lèvres. La langue euh … La langueur planante et cotonneuse de « Lack & Wounds » offre un moment propice à la récréation des sens et à se dire des mots bleus ceux qui rendent les gens heureux, pansent les plaies, soignent les blessures et comblent les manques. Malheureusement, la gaudriole, le calme et la douceur ça ne dure qu’un temps. Dans un brouhaha, les chaises reculent et se bousculent, les voies s’élèvent, quel tintamarre. Deux zouaves arrivent au bar les mains pleines de doigts et de verres vides rompant le charme de cet instant délicieux afin de refaire le plein de binouze. « Beer Hunt » nous sort de la torpeur. C’est reparti pour un tour. C’est la version Métal de « À boire ou je tue le chien ! » avec un break Bluesy. Ben ouais, quand t’as soif et que le frigo est vide, y’a de quoi avoir le Blues ! La serveuse pose les chopes sur le comptoir. Dans un mouvement aussi maladroit que prémédité, l’un des zoulous renverse un godet de breuvage malté qui inonde mon falzar. Il s’est fait greffer des pattes de canard ? Pour être aussi gauche ça doit être un batteur ! Les deux nigauds me regardent en se marrant et pouffent un peu crédible :
- « Désolé mec, j’l’ai pas fait exprès. »
Bien sûr blaireau et mon père c’est Dick Rivers ! Nous ne sommes pas à St Trop mais ça va twister… Leurs rires sont étouffés par les guitares acérées de « Loud Punch » et le « Gimme gimme some brawl » qu’hurle Julien Dottel, le leader de la bande. You wanna some Brawl Mutherfucker ? Remercie Dieu, ton vœu va être exaucé. Je lui loge un puissant crochet du gauche dans le bide. Il s’effondre plié en deux sur le carrelage. Un direct du droit atterri sur le pif de son pote qui survole la table et termine sa course sur la banquette. Il miaule et pisse le sang. Comme il ne faut pas faire chier Gérard Lambert quand il répare sa mobylette et bien il ne faut pas me renverser de bière sur les tiags, je ne supporte pas le gaspillage ! Un grand costaud se lève. Il est devant moi avec son cran d’arrêt dans la pogne. Son gros pouce recouvre le bouton qui doit libérer la lame. Son regard brille. Il a la banane. Zzzllliiiiiiiiiiip ! C’est quoi ces mecs ? Ils sont V.R.P. en farces et attrapes ? Il pointe vers moi un peigne noir gras recouvert de pellicules. Je rigole, il sourit. Imperturbable, dans un style très british, il se recoiffe. Ses potes se marrent, tout le monde s’esclaffe. Sur « Nevermore » Julien propose « No compromise for your stupid madness ». Mais je serai plus magnanime que le frontman de Full Throttle Baby. Comme un aigle qui déploie ses ailes, j’écarte mon perfecto pour exposer mon automatique qui s’ennuie dans son holster et commence ma diatribe :
- « Inutile que je sorte mon distributeur de pruneau ? Vous avez joué, vous avez perdu ! Mais je vous aime bien les gars, vous m’avez fait rire et vous avez de l’humour. Votre album est pêchu. Je comprends, vous avez de l’énergie à revendre, alors allez la dépenser sur scène. Votre Rock Bastonne ! Maintenant barrez-vous… ».

Entre les plaintes et les gémissements, les meules pétaradent puis s’envolent vers le boulevard formant un essaim bleuâtre qui laisse derrière lui un voile grisâtre puant. Le bourdonnement s’évanouit enfin pour que je puisse profiter des derniers accords à la guitare folk de « Gipsy Queen ». La serveuse se love à mon bras. Elle me siffle à l’oreille qu’elle a terminé son service et que je commence le mien. Ce n’est pas une gitane mais ce soir, elle sera ma reine.

Vincent GILOT aka Le Guise
15 janvier 2018