Le couple Closset/Markou nous propose un nouvel album qui s’inscrit dans l’actualité et la réflexion. Depuis Démantibulés, ils cassent les codes et poursuivent leur démarche artistique en nous proposant des albums inclassables. Ils continuent à nous surprendre par une approche expérimentale et une production d’orfèvre.
Odile et Manu, ne laissent rien au hasard. Précis et perfectionniste le duo tisse un fil conducteur symbolique, un peu obscur qui ne se dévoile pas facilement, entre les chansons et intermèdes jusqu’aux symboles du livret. Ces courts passages très symboliques sont chargés de sens. Telle la transition entre deux paragraphes d’une dissertation, ils donnent à l’ensemble de l’album une cohérence harmonieuse en nous indiquant le thème suivant. S’il existe un rapport avec De la nature des choses, le poème de Lucrèce, c’est bien le fait qu’il faille se libérer des superstitions et des dogmes religieux qui nous empêchent d’atteindre la tranquillité de l’âme (ataraxie). Pour cela, nous devons mieux connaître le Monde dans lequel nous évoluons et le respecter !
Pour La nature des choses, le duo explore encore un peu plus les ténèbres de l’âme humaine. Il est indéniable que notre Monde et nos Sociétés évoluent, je doute que ce soit dans la bonne direction lorsque je vois un panneau où il est inscrit Chaos. Un chaos que nous pouvons traduire par réchauffement climatique, pollution, la croissance de l’intolérance et des extrémismes dont les fruits sont Daesh, populisme, guerres et attentats, les migrations humaines... Cette liste n’est malheureusement pas exhaustive. Comme les albums précédents, La nature des choses s’inscrit dans une dimension très poétique où le choix des mots et des rythmes s’avère primordial pour traiter des sujets actuels. Musicalement, l’essentiel des morceaux sont dans une veine électro-expérimentale avec l’utilisation du Vocoder (« Mais encore », « Déportés volontaires ») qui se présente comme « un troisième personnage » comme me le confiait Manu. Nous retrouvons également des influences Floydienne avec les effets de Doppler de « L’orage » qui rappelle « On the Run » du célèbre Dark Side of the Moon et ausi des rythmes new wave indus qui rappellent l’album Geography de Front 242.
C’est quoi ces cuivres ! Encore une nouvelle émission de Michel Drucker ? N’allez pas croire que, le duo Closset Markou ait décidé de se donner en spectacle à l’écoute de « Showtime ». Ce n’est pas de l’entertainment, c’est la vie, la vraie où la réalité et l’actualité sont dénaturées, vidées de leur sens pour créer du buzz, de l’audience, des parts de marché ! Applaudissez, vous êtes manipulés. La bonne humeur de « Showtime » est de courte durée. Les cuivres laissent la place à un « In(can)de(s)cent » glacial. Les flammes d’un âtre ne peuvent pas combler le manque de chaleur humaine de notre société devenu individualiste. L’incendie nous mène directement « Aux urgences ». Comme souvent nous sommes mis en attente avec le « Printemps » de Vivaldi. Est-ce un espoir de renaissance ? Dès les premières notes de cet intermède, orchestré au Korg MS20, nous pensons immédiatement à la musique du film L’orange Mécanique, de Stanley Kubrick, composée par Walter Carlos. La musicienne changera de sexe en 1973 à l’âge de 34 ans pour se prénommer Wendy. Belle transition pour annoncer « Une Femme et un Homme ». Un duo très poétique et électro qui s’ouvre sur la question « Qui es-tu ? » : la dualité où se mêle la complexité de l’individu pour flirter avec le divin. Une Femme, Un Homme, Un Dieu, Une Pomme... Si le timbre de la voix d’Odile est souvent comparé à celui de Jane Birkin. Sur « l’Orage », il se rapproche de celui de Brigitte Fontaine où elle répète « L’orage était bleu » dans le tourbillon d’effet Doppler.
Le croassement des corbeaux et le tintement du glas donnent forcément une couleur macabre et sombre à « Vagabonde » avec le refrain « le noir m’a appelé ». Le vocoder cite un extrait en anglais de l’Apocalypse selon Saint-Jean qui se rapporte à la Bête de la mer (13-1) comme s’il souhaitait nous prévenir de la présence d’une force maléfique. Cette force est-ce la regrettable propension de notre société à devenir de plus en plus individualiste ? Thème que Manu aborde avec brio sur l’angoissant « Invisible ». Non ce n’est pas de la paranoïa ! Où êtes-vous passé, vous qui n’entendez rien ? Une des multiples questions que pose l’album. Que d’interrogations ! Le questionnaire se termine sur « Ca va durer encore longtemps ? » alors que « Je passe » débute avec « Faut-il poser les questions pour continuer en vain ? ». Un constat d’impuissance et de fatalisme chanté par Odile. La lassitude face à l’impossibilité de changer la nature des choses ?
Sur « Déportés volontaires », nous mesurons tout le talent d’écriture de Manu. Il traite avec beaucoup de réalisme et de pudeur la tragique crise migratoire malgré l’usage d’un style très imagé et poétique (bateau médusé, Océan des égarés). Il se ferme sur le constat amer « de je ne sais pas je pense à moi, ne comprends pas je pense à moi ». Est-ce dans la nature des choses que le monde se ressemble toujours ? Manu nous invite à un voyage introspectif avec « Si petit ». Un univers musical où se mêle rythmes électro joués au MS20 et au Monotron, des samples (touche de téléphone, émission télévisée qui présente la bombe atomique larguée sur Hiroshima...) dans l’esprit de l’album Geography de Front 242. Ce morceau nous invite à un faire preuve d’humilité et pour cela juste un miroir suffit. Sur le poème « L’obscénité » et le piano voix « Je penche », les textes sont forcément graves et dramatique (je suis une ombre dans un bateau qui sombre) quand on sait que plus de 5000 migrants sont décédés en mer méditerranée en 2016. Un sujet trop récurrent, loin de l’insouciante comptine pour enfant où le petit navire qui n’avait jamais navigué et son petit matelot sont épargnés et ne chavire pas entre la Lybie et l’Italie.
Vincent GILOT aka Le Guise
9 juillet 2017