Raise the Veil

2014

ZOE Stoner Rock

01. Kellar's Song
02. Don't Hold my Gaze
03. Slam Dance Union
04. Dusty Truck
05. Astral Projection
06. Raise the Veil
07. Roller Coaster Blues
08. The Wolf
09. Workie of Despair
10. Eternel Boy
11. Time is not on My Side

Le pied sur le champignon j’hallucine, nonobstant le volume de l’autoradio poussé au max, la voix de Lemmy a du mal à couvrir la symphonie des cylindres du V8 de ma Mustang Mach 1. Ace of spades, ace of spades … Les chevaux sont en liberté et mon bolide dévore le ruban d’asphalte qui s’étire bien droit devant moi, comme la gourmande serveuse du Blind Monkey Bar que j’ai ramené au motel hier soir pour une frénétique partie de scrabble. Ah ah, la coquine, je lui ai sorti plusieurs fois le mot compte triple et atteins le climax en abandonnant mes 7 lettres sur le tapis –  F, E, A, T, I, O, N – ceci n’est pas une pipe, plus 50 points ! Quel plaisir mais trêve de plaisanterie, je ne dois pas trainer car c’est une autre paire de manche qui m’attend. Je dois encore mettre une branlée à une bande de hipsters hystériques qui ne jurent que par La femme. D’abord, jurer c’est pas bien ! Ensuite, La femme aussi… Sans vouloir passer pour un phallocrate, les plus éveillés d’entre vous auront compris que je ne parle pas de la fantastique créature moulée et sculptée dans la côte d’Adam mais du groupe, euh, d’un groupe qui découvre des sensations sur une plage. Abandonné c'est ce que j'ai fait après les avoir entendus… Enfin, soit. Passons ! En tout cas, je dois me magner avant que Lemmy ne m’informe que j’arrive Too Late ! Au loin se dessine dans la brume de chaleur que dégage l’asphalte brulant comme une sorte de mirage, une ancienne ville et sa concession minière abandonnées après le crack boursier sur les matières premières. Rien ne semble avoir changé depuis 60 ans. Les rues sont désertes. Tout a été abandonné, même les squatteurs de passage lors de la grande vague migratoire des années 90 n’y sont pas restés. La nature reprend doucement ses droits entre les murs gris couverts de tags délavés. J’ai rendez-vous à l’ancien Copper Palace qui fût en son temps, un haut lieu des soirées mondaines de la région. Le rétiaire et l’homoplaque luttant à mort contre deux lions de la fontaine rococo ne crachent plus depuis longtemps leur jet d’eau immense qui autrefois voulait rafraichir le soleil et finissait leur course dans un bain d’écume. Désormais, le bassin ne reçoit plus que les eaux verdâtres des pluies diluviennes du printemps qui croupissent. Les mousses indiquant le vent du nord recouvrent les marbres blancs des gladiateurs qui ont perdu de leur superbe. Vitres cassées, herbes folles et lichens, bois pourris, peintures décrépies, lézardes : il a une sale gueule. J’entre dans le hall, le parquet recouvert d’une fine couche de poussière poisseuse craque sous le pas de mes bottes. Les yeux rivés sur leur i-phone, ma présence ne semble pas réveiller cette bande de nerds poilus !
- Salut les nazes ! Il y a du réseau ici ? dis-je afin de briser le silence et m’annoncer en bonne et due forme.
- Non ! On chatte en bluetooth me répond le mec en face de moi sans relever la tête alors que ces potes émettent de petits rires crétins comme Rosco P. Coltrane.
Evidemment, c’est beaucoup plus fun d’envoyer un message à ton pote assis juste à tes côté que de lui adresser directement la parole. Attends blaireau, je vais t’en donner du Bluetooth ! J’vais lui claquer un sac d’os dans les dents à cette fin de race. Mais d’abord en finir avec cette histoire de duel. Une table, trois cartes, un vainqueur et une jérémiade !
- Un peu exaspéré d’attendre je lâche, bon on joue ou on s’enc…, je n’ai pas le temps de finir ma phrase qu’ils s’affolent et piaillent tous en cœur.
- On joue, on joue, on joue !!!
Zut !

Nous rentrons dans la salle de l’ancien casino et je m’installe sur un tabouret de la table de Black Jack. En parlant de Jack, j’en profite pour plonger la main dans mon perfecto. Elle en ressort indemne avec entre les doigts le fruit d’une pêche miraculeuse, un flasque argenté. Je dévisse le bouchon et porte la gourdasse salvatrice à mes lèvres. Certains individus brillent souvent par une stupidité proche de la naïveté. Celui qui me fait face s’avère être un superbe spécimen que je pourrais refourguer à Michel Audiard avec son certificat d’authenticité. Avec son tablier de sapeur et ses tatouages, il s’imagine que maintenant c’est un homme, un vrai. Ancien champion du je-te-tiens-par-la-barbichette en cours préparatoire, il me fixe. Tenterait-il de me déstabiliser ? Ah, ah ! « Don’t hold my gaze ». Mon regard se cimente, mes yeux lui brûlent la rétine, il cligne, repousse son siège et bredouille des excuses sur la capacité de sa vessie puis disparaît. Avec moi pas de miction impossible ! Il revient a priori plus léger mais toujours aussi niais. Il s’installe. Il pose sa première carte qui représente Thor le dieu du tonnerre, dont j’ai vite fait de calmer la colère avec le puissant uppercut de Make it Burning ! Si j’avais un marteau je cognerai le jour ! Celui qui cogne ici, c’est moi, alors prends ton marteau et vas jouer avec Cloclo, il est au courant. Sur ce coup là, t’as eu tord p’tit. Don’t forget, I am a « Wise Man » ! La puissance tellurique, le Hard divin, l’énergie du Rock c’est Zoe. Il vient de manger sévère, ca chauffe, il vire au rouge comme un breton un jour de canicule. Le passage en force n’a pas marché, il veut maintenant m’ensorceler avec The Black Witch. Mais sa sorcière mal aimée ne peut résister au pouvoir hypnotique du Stoner et périt dans les tentacules de ma White Bitch ! Il faut se méfier de cette Dirty Little Sister. Il suffoque, de grosses gouttes de sueur perlent de son front, ses oreilles rougeoient comme le pif du Dr. Maboul lors d’une partie entre Parkinsoniens. Alors « Keep on fighting » ? Il sent que la victoire lui échappe, hagard du Nord, il pose le voile de la nuit ténébreuse avec The Dead Bride pour masquer sa fuite. Trop tard. Je jette sur la table mon atout choc. Mon gentleman des ténèbres is ready to Raise the Veil. Il s’effondre sur la table de jeu pendant que ses compères interprètent la chanson des carpes. Leur gueule bouche bée pourraient avaler des bratwursts par paquet de douze.
- Tu as voulu jouer ? Tu as perdu ! Le deal est simple.
- Oui sanglote t-il, le perdant doit écouter l’album choisi par le gagnant !
- Hell Huuuue YeaH, j’ai décidé que vous écoutiez à fond l’album qui a enterré votre défaite, Raise the Veil de Zoe. On dit merci qui ?
- Merci Jacquies et … Heu, non, désolé… Merci, Monsieur Kroundave !
- Musique maestro, j’hurle en me redressant d’un mouvement sec. Mes bras sont tendus en V vers le plafond avec mes index et auriculaires qui forment de jolies petites de cornes.

Les HP toussotent et crachent difficilement les premières notes du clavier de « Kellar’s Song » qui introduit l’énergique « Don’t Hold my Gaze » taillé pour la route. Si pour l’instant les Geeks restent insensibles au solo très planant, je sais que ce mutisme puéril sera de courte durée. Sam Dufoor, le chanteur des Belges de Drums’n’Guns, rejoint Fred pour un « Slam Dance Union » au Break Stoner qui donne envie de surfer sur une vague humaine. Les avortons commencent à gesticuler timidement comme les vers de farine dans une boite d’appâts. Les strates de poussières et le bordel ambiant de l’ancien palace n’ont rien à envier à la propreté d’un van de tournée. Nous poursuivons avec un « Dusty Truck » très Hard Rock où les guitares tricotent des mélodies 70’s à la Thin Lizzy, avant d’enchainer par une errance nocturne avec « Astral Projection » où Drunker rime toujours efficacement avec Motherfucker. J’en profite pour m’offrir une nouvelle rasade de Jack ! Le moment est venu de lever la voile avec « Raise the Veil ». Nous en sommes à la moitié de l’album, les compositions quoique très diverses sont marquées par une batterie métal. Je tombe vraiment sur le charme de l’hypnotique « Roller Coaster Blues » au riff lancinant et bluesy. Un excellent morceau Stoner comme Zoe sait si bien les composer comme « Too Many Roots for One Tree ». Par contre, je suis scotché par le côté Blitzkrieg à la Rammstein de « The Wolf » avec le rythme martial martelé par la batterie Si je m’attendais à cela. Mes Geeks, eux, headbangent en suivant le rythme métronomique ! Nouveau duo pour « Workie of Despair » avec Carl Langlet. Les guitares se répondent de droite à gauche, la batterie monte la sauce, encore un titre à écouter le pied collé au plancher ! Zoe nous offre sur « Eternel Boy » un Blues Rock gras et crasseux qui rappelle The Experimental Tropic Blues Band, où Jex Spector de Spermicide vient pousser également la chansonnette. Les enceintes me demandent What the fuck are doing here ? C’est clair « Time is not on my side ». Tandis que les nazes dansent comme des zombies en s’égosillant sur ce dernier titre, j’en profite pour filer à l’anglaise sans tirer ma révérence. Quelle bonne idée d’avoir fixé ce rencard dans un bâtiment qui doit être dynamité dans quelques minutes pour laisser place à un futur complexe de loisirs. Deux minutes cela m’en laisse assez pour sauter dans ma Mustang. Je tourne la clé, les chevaux sortent de l’écurie. J’écrase le champignon pour imposer le galop au V8. Sous la puissance de l’accélération, le monstre mécanique chasse sur le bitume usagé puis fonce sur l’ancien boulevard. Une énorme déflagration emporte l’ancien palace qui fait voler les murs en éclats puis le bâtiment s’effondre dans un épais nuage de poussières que je regarde d’un œil furtif dans mon rétroviseur. J’accompagne Lemmy en hurlant Overkill, overkill, overkill

Vincent GILOT aka Le Guise
9 Juillet 2014