Versari

Ostinato

2013

http://www.versari.org

01. Les mots que l'on disait
02. Hymne
03. Au dernier souffle
04. Ville morte
05. Houdini
06. Non-retour
07. Le courant
08. Nous étions
09. L'animale adoration
10. Ostinato

Quelle belle journée. Après plus de cinq années d’absence, les disquaires accueillent dans leurs bacs Ostinato le nouvel album du groupe Versari. Atteinte d’Alzheimer la Dame de Fer en a terminé de dérouiller ! J’ouvre une parenthèse. La Dame de Fer n’est pas la mère du Masque de Fer, ni l’épouse de Robert Dacier le flic intouchable. Fermer la parenthèse. Plus connue sous le sobriquet de Miss Maggy, cette intransigeante ultra libéraliste a marqué l’histoire du Royaume-Uni au fer rouge. Première femme Premier (S/M)inistre d’un pays délabré, morose et asphyxié, d’une population désabusée, exsangue, nourrie à la soupe à la grimace. Sa politique de rigueur et d’austérité fut le terreau fertile qui donna naissance au Post-Punk sombre et mélancolique avec des groupes comme Joy Division, The Cure, The Smiths... Nous somme en France un jour d’avril 2013, le Ministre du budget avoue posséder un compte bancaire à l’étranger donc frauder le fisc, le taux de chômage dépasse les 10%, le pays se désindustrialise et l’avenir semble incertain. Dites-moi ! « Ca ne vous dit rien ? Ca ne vous rappelle rien ? ». Ce nouvel album de Versari plonge dans les ténèbres métalliques d’un Rock Noisy et sombre dans une mélancolie aux sonorités Cold Wave. Etonnant ? Non !

Jean-Charles Versari, en véritable orfèvre du mot, nous offre un album, aux textes superbement ciselés, qui rend vraiment hommage à la langue française. Fait assez rare pour être souligné ! Rien de surprenant que l’album s’ouvre sur une chanson intitulée « Les mots que l’on disait ». Ces mots, quand parfois nos paroles dépassent nos pensées, possèdent une force et une brutalité bien supérieure aux gestes. Ces mots sont « une lame de fond, une déflagration […] des bouts de tessons tranchants tous nos noms. ». Guitare acérée au son Noisy et la batterie martiale de Cyril Bilbeaud collent parfaitement à l’atmosphère du texte. Sur Ostinato, nous retrouvons ce thème récurrent des rapports entre Homme et Femme avec leur complexité et leur beauté que la voix grave de Jean-Charles aborde avec beaucoup de poésie et de sensualité comme sur le superbe « Houdini » et son amour qui fuit. Sur « L’animal Adoration » Versari s’inspire du roman La belle du seigneur d’Albert Cohen. Chanson au Rock charnel où les corps lascifs s’enlacent comme des bêtes enivrées dans un tourbillon de guitare torturée. Avec l’hypnotique « Nous étions » au chant quasiment parlé, nous revisitons avec beaucoup de nostalgie notre jeunesse et ses premiers émois où « Tout n’était qu’insouciance, le cœur retourné, le cœur si palpitant que l’on s’y est brulé ». Du passé au futur il n’y a qu’un grand pas que Versari franchit aisément pour dresser le bilan de notre vie où « Tous ces moments de beauté, tout ça je m’en souviendrai » et lister nos meilleurs souvenirs que nous souhaitons emporter avec nous vers l’au-delà. « Au dernier souffle » est un déchirant testament hurlé aux guitares métalliques et stridentes qui nous invite à jouir de nos moments de bonheur. Un bonheur qui parait fugace voire inaccessible dans une société angoissante, en perte de vitesse où « Il n’y a rien à espérer ici ». Un « Hymne » Post Punk où flâne l’esprit de Joy Divison qui nous invite à ne pas subir voire à fuir. Fuir, disparaître, s’échapper de ce monde apocalyptique, de cette « Ville morte » où « Les mots ne font que s’effacer » afin de se retrouver, se reposer, s’apaiser et trouver « un monde qui fasse un peu plus envie ». Introduit par une ligne de basse lourde et monotone de Laureline Prod’homme, cette chanson à l’ambiance sinistre et glauque semble décrire le monde perdu de La route de Cornac McCarty où un clavier froid et morbide joué par Adrian Utley nous plombe définitivement la journée. Le tribun Versari nous harangue sur un « Non-retour » Post Rock presque Indus. Notre laxisme, notre aveuglement, notre immobilisme sont-ils responsable de la dérive de notre société et la prise du pouvoir par le marché ? Pouvons-nous encore faire marche arrière ? Mur de guitares Noisy, métalliques et stridentes nous livre un constat amer et « Sans appel ». S’il reste un espoir, nous le trouverons dans « Le courant » de la rivière aux eaux régénératrices afin d’y renaitre. Un titre chaleureux aux accents Pop Rock qui nous réveille doucement de notre torpeur. Ce regain d’énergie atteint son paroxysme sur le riff entêtant d’« Ostinato » qui possède la folie « Des écorchés » de Noir Désir. Fonçons, dansons, rions, comportons nous comme des damnés car « le sang s’écoule comme des idées ».

Une longue période de gestation nécessaire pour offrir un disque très mature, superbement produit avec le guitariste de Portishead Adrian Utley, dont l’illustration par le tatoueur Jean-Luc Navette dissimule un dessin mystérieux et symbolique derrière le tourbillon d’Ostinato. Une invitation à la réflexion ? Les trois musiciens de Versari nous présentent un album poétique, sensuel et surtout très actuel. En effet, le son entre Post Rock revendicateur et Cold Wave mélancolique colle parfaitement aux textes et reflète le sentiment de perte de repères de notre société. Ostinato possède la force d’une tempête et l’énergie d’un feu divin qui nous invite à rester éveillé, conserver l’esprit rebelle et jouir de chaque instant de bonheur.

Vincent GILOT aka Le Guise
14 Avril 2013