Liquid Love

2012

http://www.tropicbluesband.com

01. The Best Burger
02. Keep this Love
03. Worm Wolf
04. TETBB Eat Sushi
05. Can't Change
06. Nothing To Prove Part 1
07. Nothing To Prove Part 2
08. Do it to Me
09. Break Up
10. Sex Games
11. Holy Piece of Wood
12. Fantasy World

Les verres de bière se percutent sans fausse note pour une interprétation très personnelle de « L’art de la fugue » de Jean-Sébastien Bar. Gling Bling. Nous trinquons sous la bienveillance de la pinte trinité : alcool, picole et rigole. Un sacré bail que je n’avais pas revu cette vieille couille de Manu. L’amitié donne soif, plus encore quand modération est absente. Alors que la précision de nos souvenirs, surannés à force d’être ressassés, s’estompent à chaque ressac houblonné, le cul de la chope annonçant l’imminence de la marée basse nous invite à larguer les amarres, à prendre le large, à ne pas succomber au chant des sirènes – une autre, une autre – et d’affronter le grain qui tapisse la nuit et cogne sur les fenêtres embuées – ploc, ploc, ploc – pour voguer vers un nouvel havre avant que nous échouions lamentablement le long de ce comptoir. L’air frais et humide réveille nos esprits confinés dans cette léthargie éthylique trop chaleureuse. Saoul mais digne, nous mettons le cap vers le Kremlin. Idée reçue de bringueur n°1 : La vodka est un excellent chasse-bière. Les pavés valsent sous le poids de nos pas gourds de goéland englué sur la plage de Kermazout. Eclairée par les réverbères qui diffusent une lumière bileuse, la rue avale nos ombres incohérentes qui frappent devant les néons rosâtres d’un établissement inconnu : le Kitsch Kiss Gang Bang.

Nous échangeons un sourire complice qui en dit long sur nos intentions. Celui qui se dessine sur le visage de l’enfant angélique juste avant de faire une connerie. Manu me lance un « On y va ma Beauté ! » qui ne souffre aucune discussion. Un peu comme un général d’empire hurlant « Chargez » à ses grognards. Bourré d’entrain, je pousse la lourde. Nous pénétrons dans un hall hallucinant qui me rappelle vaguement quelque chose. Une sorte de cocoon velu d’un rose bubble-gum comme si nous piquions une tête dans le boa de Régine. La sonnerie numérique made in Taïwan libère un asiatique et dissonant « Aaaaaaaaaaah Love Loooooove Babe » pour nous annoncer. Tout en dandinant du cul, nous le reprenons en cœur afin d’étouffer cette horreur. Ce magnifique mouvement corporel ne semble pas particulièrement perturber le taulier qui ne dévisse pas le regard de sa revue. D’un rapide tour d’horizon, nous comprenons que nous sommes dans la caverne d’Ali Baba du sex toy décalé, kitsch, ringard, « Affreux » dit Zack, improbable, voire politiquement incorrect.. Godemichés, lubrifiants, préservatifs, déguisement et tout l’toutim. Je suis en admiration devant le « Tire ta Cramps » un vibromasseur en forme de jack guitare qui porte l’information « Visite votre Lux Interior ». Monsieur Manu, lui analyse d’une œil expert la qualité du moulage de la tête du petit Nicolas. Une des nombreuses personnalités politiques des godemichés de la série « Dickhead » dont le message publicitaire est limpide « Maintenant il vous aura vraiment baisé ».

Je tique. Je suis agacé et perturbé. Quelque chose me turlupine ! Normal, non ? Il y a cette musique, ce fond sonore qui sollicite ma mémoire. Je l’ai sur le bout de la langue. Non, pas un poil pubien ! Bon sang comme c’est bien dur ! Ces suaves « Je t’aime » susurrés par Hollis Queen la batteuse de Boss Hog, c’est évidemment « Can’t Change » de The Experimental Tropic Blues Band. D’ailleurs l’album Liquid Love figure en tête d’une gondole estampillée O.S.N.I. . Il ne s’agit pas ici d’une référence au groupe de Rock Garage lillois mais d’Objets Sexuels Non Identifiés. En vrac, des pots de G.A.I. et G.R.UM. , du beurre Charentre-Partout, des bidons d’huile « J’te fais la TOTAL », des bocaux de Mary Poppers contrôlés conformes par les studios Disney-moi-un-mouton, ou encore une barquette de glace « Blow Job Cream Natural Flavour » de Ben in Jerry.

Tenant le 33 tours de Liquid Love entre mes mains comme le Saint-Graal je ne peux contenir mon allégresse, ni ma stupéfaction qui se caractérise par un tonitruant p*t@#, le raccourci efficace de « Maman travaille ». Un élan du cœur qui a le mérite de donner un semblant de vie au taulier qui relève discrètement son regard de sa revue. Ce grand black au crane chauve labellisé « Stax » me zieute derrière une paire de solaire et me décroche un énorme sourire doré qui se traduit facilement par « faut qu’on cause ». Je m’approche du comptoir et il me lâche :
- Hum, les Tropics ! T’aimes ça man ?
- Un peu mon neveu. Je suis un fan depuis belle lurette.
- Pour ce nouvel album, ils se sont envolés pour New York
- En effet, Liquid Love a été enregistré par Matt Verta Ray et produit par Jon Spencer. Une sacrée expérience pour les loustics qui nous offrent un album authentique, franchement déglingué et surtout décomplexé.
- Alors ! Ca tétonne de trouver cet album ici, man ! Lâche t-il en me pinçant.
- Tu parles Charles ! Cela fait toujours plaisir de croiser un peu de cul … de culture dans un sex shop !
Il ri, se tort, frappe du poing, pleure un peu, se tient les côtes. Je n’avais jamais vu un mec se marrer autant devant un jeu de mot aussi nul. Je veux bien qu’il puisse sourire un peu par politesse. Mais là, ça frise le ridicule. De l’index, il chasse quelques larmes et me dit hilare :
- T’es un champion mec, tu m’plais bien, il faut que je te la montre.
Moi qui n’ai jamais réussi à atteindre une présélection de speed dating, je suis surpris devant la rapidité de cette invitation intime qui ferait se pâmer Nadine de Rothschild. Le sosie d’Isaac Hayes se lève, commence à trifouiller des systèmes de fermeture revêches puis d’un geste ample et rapide, il la dégaine et me la colle au visage. Effectivement, c’est énorme. J’ai devant mes yeux écarquillés la Gretsch Bo Diddley de Dirty Wolf dédicacée par les membres de The Experimental Tropic Blues Band. Cette guitare représente une relique du Rock’n’Roll dont le mécréant ne peut pas saisir la profondeur. Sa main gauche rengaine aussi rapidement l’instrument dans son étui alors que la droite pose en échange une bouteille carrée en provenance de Lynchburg. La main gauche revient fissa avec à l’annulaire, le majeur et l’index un petit godet en verre en guise de dé à coudre qu’il inonde de Whiskey. Alors qu’il remet Liquid Love au début, j’ai le sentiment que la soirée ne fait que commencer.

Le tintamarre de « The Best Burger » nous invite à porter un toast à l’honneur du taulier. Et oui ça pique un peu ! C’est complètement déjanté. Alors que la deuxième tournée arrive, nous partons pour le far west avec « Keep this Love ». La batterie distille une rythmique de cheval au galop dans Monument Valley soutenu par un harmonica qui annonce une soirée à la belle étoile. Superbe ! Ma vue se brouille quand je commence à entendre la boite à rythme et le chant suraiguë de « Worm Wolf ». Boogie Snake s’est muté en Mick Jagger version « Emotional Rescue ». Alors que je n’ai même pas faim, je danse comme des fous sur « TETBB eat Sushi ». Maki kispasse ? Le patron est debout sur son bar. Mr Manu valse avec une poupée gonflable. Je n’ai pas encore entendu crier mon nom, mais faut avouer que ca cache Kekchose ! Alors que j’entends la voix suave de Hollis Queen me susurrer « Je t’aime » à l’oreille sur le spectorien « Can’t change », le patron en profite pour en resservir une et rajouter des décibels. Soudain, une troupe composée de Drag Queen et de danseuses de Peep Show envahie le bouge. Elles sont accompagnées par Tom Waits et Alan Vega. Les filles dansent autour de nous. Sommes-nous en train de succomber au chant des sirènes ? Oh, non ce n’est pas une sirène. C’est une fraise ! La fraise d’un dentiste surexcité qui creuse ta dent cariée en écoutant Tyranny for you. Voilà l’impression que me donne « Nothing to Prove Part I ». Attention ca va faire mal ! Le temps de passer à la Part 2 qui lui réveille les morts. Oui, les morts ! Je rebois un coup de Jack car j’hallucine. Serge Gainsbourg discute avec une Drag Queen. Je n’ai pas le temps de reconnecter mes neurones que Monsieur Manu me tire le bras en hurlant « Viens danser ma beauté ». Comment résister à l’appel du dancefloor avec « Do it to me ». Buddy Holly revisité par Suicide. Nous nous déhanchons comme des crabes sous acide, nos visages se noient dans les crinières de nos partenaires. Le roulement de batterie de « Break up » nous colle à la piste où nous hurlons en rythme « Yeah, yeah, yeah ». C’est apocalyptique ! Le Kitsch Kiss Gang Bang is the place to be : Chaud et humide ! Nous atteignons le paroxysme de la soirée avec la country frénétique de « Sex Beat » et son clavier frapadingue. « Allez viens quoi, qu’est ce que t’es belle, tais toi, regarde toi comme t’es belle » Que dis-je ? Who’s speaking ? Une des filles m’enlace et m’enroule son boa fuchsia autour du cou. Monsieur Manu, lui, a choppé une lipstic varicelle. Sur « Holy Piece of Wood » chanté par Dirty Wolf et sa voix de grand singe nous sommes littéralement envoutés par ce beat hypnotique. Nous nous déplaçons à la queue leu-leu entre les fouets, menottes, guêpières et panoplies de nonnes et d’infirmières. Welcome in my « Fantasy World ». En rythme nous sommes embarqués dehors par la joyeuse troupe. La porte se referme définitivement sur ce monde décalé en emportant une partie de mon boa qui se déchire dans l’embrasure de la porte. Les drag queens disparaissent dans la nuit comme des artefacts. Une brise légère emporte le claquement des hauts talons qui meurent au loin. Nous sommes maintenant seuls dans la rue humide et silencieuse.

Nonobstant que nous avons picolé comme des bois-sans-soif, nous sommes relativement frais. En effet, l’œil brille et pétille encore un peu sur une paupière sillonnée par le temps. Ce visage aux traits fatigués ne trompe pas, mais l’esprit reste agréablement lumineux et vigilant. Nous marchons d’un pas assuré en direction du marché du Vieux-Lille. Ce midi un poulet rôti, du Saint-nectaire et une bouteille de Saint-Joseph fera l’affaire. Il faut savoir rester simple. Indéniablement, ces pas nous mènent vers un quartier dont l’architecture connue me confirme que l’assassin revient souvent sur le lieu de son crime. Point de néons. Le bâtiment glauque, défraîchi et repoussant est un ancien squat aux fenêtres murées de parpaings où la flore à repris ses droits depuis longtemps. Branchages, herbes sauvages s’aventurent par les interstices. Il règne une vieille odeur de pisse qui ne tracasse pas les taggueurs. La nana sixteen de Tchize Kate semble sermonner les vilains garçons que nous sommes ; Mimi the Clown lui souhaite devenir le futur locataire de l’Elysée ; « A quelle heure le bonheur ? » cohabite avec « Your Wife eats Dirty Coq ». Nous restons un moment pantois devant l’immeuble avant de repartir. Camouflée dans les fougères sauvages qui poussent par miracle entre les joints des parpaings obstruant l’entrée, une grosse chenille aux longs poils rose virevolte au gré du vent.

Vincent GILOT aka Le Guise
21 Mars 2012