Cercueil

Erostrate

2011

http://www.cercueil.org

01. Boredom's Magnetic Eyes
02. After Dark
03. Slave Wave
04. Jumping War
05. Subtitle
06. The Guest
07. Shade Unit
08. A Ray Apart
09. Things
10. Know to none

Je pousse d'un coup sec la porte de l'Abreuvoir, j'y retrouve Jean-Paul Sartre. Adossé au mur entre le zinc et les chiottes, il tire une gueule d'enterrement. Il me tend un disque et lâche un réprobateur.
-« Ils ont osé ! Ca m'file la nausée ».
Je regarde le nouvel album de Cercueil avec circonspection en indiquant au barman de me servir son élixir d'Islay. Le nom qu'il ne faut pas dire, la gloire de l'imbécillité destructrice, la notoriété du crétin, Erostrate. C'est ainsi que se nomme le successeur de Shoo Straight Shout. Nos Lillois auraient-ils l'intention de sacrifier un temple pour conforter leur célébrité ? Jipé à l'air dubitatif. Il faut avouer lui dis-je que depuis le temple d'Ephèse, les Erostrates se sont reproduits. Je sors de son étui la galette aux reflets métalliques et irisés et la tends au barman.
- « Tiens tavernier mets nous ça, tu seras bien urbain ».
Même avec un nom aux connotations morbides, Cercueil se positionne loin des stéréotypes Dark ou Gothique dont il est fréquemment affublé. Cercueil n'est même pas un groupe spécialisé dans les marches funèbres. Nicolas et Pénélope mixent les influences Post-Punk aux techniques modernes de la musique électro. Erostrate s'avère finalement un album très Pop et dansant qui dégage une chaleur quasi charnelle. La voix très sensuelle de Pénélope nous invite à un voyage onirique. Les multiples strates musicales se superposent pour créer un ensemble uniforme et harmonieux. Jipé ondule sur les beats d'« After Dark » et commande une nouvelle tournée de tufulu. Pendant que mon compagnon de bord de zinc tente d'expliquer la démarche existentialiste de la musique de Cercueil au limonadier dubitatif, je regarde au travers de la grande vitre terne l'activité de la rue. Mon regard se perd dans l'irréel. L'écoute de « Boredom's Magnetic Eye » ou de « The Guest » me propulse dans une cité futuriste qui aurait pu naître sous la plume de Moebius ou de Bilal. Nous tombons sous le charme de « A Ray Apart » et de l'efficacité de son riff. Le patron nous offre un petit coup de vas-y-pépére. Je suis zen et détendu, je me laisse emporter par le planant « Things » où se dissimule la volupté des Cocteaux twins. Une très belle invitation au voyage comme avec « Know to None » et sa rythmique finale qui rappelle le « Blue Monday » de New Order.

Il est bien tard quand nous sommes invités à quitter le bar. Je glisse la jaquette cartonnée d'Erostrate dans la poche intérieure de mon Burberry's. Le cafetier tire le rideau métallique. Il sépare définitivement nos deux mondes dans un bruit chaotique qui déchire le silence de la nuit.
- « Godverdom, j'ai oublié de reprendre le CD »
- « T'inquiète, on viendra le rechercher demain ! »
Notre démarche est mal assurée. Qui tient l'autre ' Je regarde Jipé. Ses yeux sont étonnements normaux. Dehors la vision est dantesque. Nous sommes au milieu de nulle part dans une de ces vastes plaines arides dont la profondeur électrique siffle à nos oreilles. Dans le ciel gris et lourd, se détachent des gros chiffres rouges. Zéro. Six. Quatre. Zéro. Six heures quarante ! Joël Collado annonce qu'il fera beau dans le Nord. Je n'ai pas franchement envie d'aller bosser. Je m'extirpe tant bien que mal de l'enveloppe cotonneuse et chaleureuse de la couette en évitant de marcher sur Le mur de Sartre. Sur la table du salon, la bouteille de Lagavullin a résisté glorieusement aux assauts nocturnes. Elle se dresse fièrement à côté d'un Post-it où il est inscrit en lettres capitales « To do. Chronique Erostrate ». Dans mon for intérieur résonne une voix accusatrice « Eh bien, mon p'tit père, il s'agit d'arrêter de rêver et de s'y mettre ». Je remarque que l'album de Cercueil dépasse de la poche de mon imper posé sur le sofa. Je le prends. Du pouce et de l'index j'exerce une légère pression sur les bords de la pochette. Vide.
- « Eh merdre ! »

Vincent GILOT aka Le Guise
3 Mars 2011