Il est là, amorphe, engoncé dans son canapé et sa déchéance, comme un boxeur au tapis, groggy, sous l’effet d’un
uppercut imprévisible. Il regarde l’image que lui reflète l’écran du téléviseur. Un visage blême, blafard recouvert
d’une fine poussière électrostatique sur un fond gris monochrome et froid. Il passe, repasse, ressasse sa vie. Mais
c’est trop tard, elle est partie, elle ne reviendra pas, elle le laisse seul comme un con. Ce n’est pas franchement
la joie. Pourtant tout avait bien commencé. Non ?
French Dream le nouvel album très conceptuel du couple et duo Closset/Markou explore l’existence d’un homme.
Même s’il ne s’appelle pas Ziggy, nous sommes les spectateurs impuissants d’un original Rise and Fall of...
où la chute sera funeste. Le duo aborde la difficulté des rapports homme femme, où les couples s’unissent souvent
pour le meilleur mais rarement pour le pire. Notre duo affectionne les situations extrêmes qui, même si elles passent
pour des stéréotypes, sont représentatives d’une mutation de nos comportements et de nos rapports sociaux. En effet,
d’après l’INSEE le taux de divorces au bout de 5 années de mariage est passé de 13,3‰ en 1978 à 27,3‰ en 2008. Comme
l’affirme le dandy Colonel du film Ne nous fâchons pas « Vous avez les statistiques pour vous, je m’incline ».
Catherine Ringer ne cesse de le répéter « Les histoires d’amour finissent mal en général. ». Odile et Manu décortiquent
la vie d’un homme lambda par étapes, comme l’avaient déjà fait, le temps d’une journée, The Moody Blues sur le très
symphonique Days of future Passed ou encore Pink Floyd sur le fantastique The Dark Side of the Moon. Ils
posent un regard malicieux, en guise de constat pas vraiment amiable, sur notre société. French Dream se démarque
de la production musicale actuelle par un souci de créativité. Le caractère insolite de cet album réside dans les
différents styles musicaux qui sont joués pour raconter cette vie. Sur ce point, le concept m’évoque le film québécois
C.R.A.Z.Y., où des musiques, de « Space Oddity » à « 10:15 Saturday Night », jalonnent la vie de
Zachary.
D’un accouchement sans problème à une enfance formatée, nous découvrons sur « Let me Tell you my Life » la genèse
d’un individu banal. Un Reggae indolent accompagne cette confession d’un être convenable, « sans éclat » qui n’a « jamais
eu d’excès de jeunesse ». Puis, il la rencontre et tout se passe vite. Des draps froissés aux marches de la Mairie, il
n’y a qu’un pas ! Ils le franchissent, pour vivre d’amour et d’eau fraîche, avec « French Dream », une chanson
Yéyé et fleur bleue, parée de rêves optimistes et béats. Mais voilà les premières désillusions : la réalité. Mariage
pluvieux, mariage heureux dit l’adage. A quoi bon s’inquiéter ! « On ne va tout de même pas se laisser aller ». Puis la
routine s’installe. « 24 hours » décrit parfaitement avec ses beats électro, cette vie monotone et répétitive
où toutes les activités – de l’humeur au baiseur, entre le flipper et le téléviseur, il n’y pas de place pour l’ordinateur,
le nouvel objet indispensable de servitude – riment toujours avec les heures qui filent non sans heurts. Car, elle souffre
sur « L’ombre de moi » d’être la victime de cette vie banale, apathique et sans confort. Il croit trouver une
réponse dans un « Tout avoir », version New Wave 80’s réactualisée de « La complainte du progrès »
de Boris Vian, où la tourniquette pour faire la vinaigrette a laissé sa place à un tout petit téléphone qui prend des
photographies. Has-been le ratatine ordure, aujourd’hui le must c’est l’écran plat « tellement plat qu’on
ne le voit pas ». Mais, il ne comprend pas que ce dont elle rêve ne s’achète pas dans les rayonnages de la société de
consommation. Fi du matérialisme ! Si elle veut vivre, alors elle doit « Partir ». Un Rock enflammé,
dans la lignée des Rita Mitsouko, en guise d’apogée. Elle lui vocifère toute sa rage et sa colère. Elle le quitte,
il prend la fuite. Aveuglé, il s’illusionne de n’avoir « rien à se reprocher » dans un « Homme parfait ». Une
chanson influencée par le Rock Progressif, avec son solo aérien de guitare, où la voix de Polnareff n’est pas
loin. Absurde, il est incapable d’accepter la réalité ; c’est la chute. Une plongée violente dans le néant, hantée par
The Cure, sur un « Begin my End » glauque au destin funeste. Le ridicule ne tue plus, surtout lorsque l’on
découvre « Death is in Panties ». Une sorte de parodie Métalo-burlesque, un télescopage improbable entre
System of a Down et The Rocky Horror Picture Show. Le personnage reconnaît un peu trop tard qu’il n’a pas vécu
et laisse comme ultime épitaphe « Si j’avais mis bien moins de si, j’aurai compris ». Nous assistons à sa mort en direct.
Comme pour le lancement d’une fusée, un compte à rebours morbide et inéluctable égraine le temps lui restant à vivre.
En 1972, Michel Polnareff chantait « On ira tous au Paradis ». Avec « C’est pas sûr », le personnage s’offre
pour accompagner son âme vers l’au-delà, une ode funèbre Latino que Manu Chao pourrait chanter accompagné par des
enfants de chœur. Une chanson décalée, joviale et sceptique, où le défunt se pose quantité de questions existentielles
post-mortem qui resteront sans réponses.
Reprocher à French Dream de pécher par facilité, en explorant des styles ayant déjà fait leurs armes, serait
injustifié. En effet, le duo Closset/Markou a effectué un énorme travail de recherche musicale pour restituer le plus
fidèlement possible ces genres musicaux très différents, tout en offrant un style d’écriture très fin, poétique et
incisif. Il faut saluer cet album créatif qui traite d’un sujet sensible avec beaucoup de sobriété. Même si l’humour,
la dérision (« Que la vie est belle dans notre appartement à Sarcelle ») et le sarcasme sont souvent présents dans cet
album, ils dédramatisent la gravité de la situation. Ce style corrosif plein de fantaisie place French Dream
dans une filiation proche de Frank Zappa.
Vincent GILOT aka Le Guise
21 juillet 2010